Travsersée du Congo Kinshasa à vélo - RD Congo/Rwanda/Ouganda (2012) - Les voyages du Ptit Malet
Au delà du réel
RD Congo/Rwanda/Ouganda - 2012
Afrique
Au delà du réel
Août - septembre 2012

Introduction

Après avoir sillonné longuement sur les routes du Moyen-orient, je rêvais des Andes et de la Chine tibétaine. Peu à peu pourtant, mon regard s'est tourné vers l'Afrique et plus particulièrement sur la République Démocratique du Congo. Des explorations de Stanley au roman de Joseph Conrad, la littérature, historique ou contemporaine, me renvoyait une image mystérieuse de ce pays au cœur du continent africain à la superficie quatre fois supérieure à celle de la France.
Parcourir l'ex Zaïre est plus qu'un voyage, c'est une expérience à vivre qui offre la vision hallucinante et marquante d'un pays coupé de tout. Plus que découvrir un autre monde, traverser ce Congo, c'est voyager dans l'irréel.

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Distance
3 380 km
Durée
55 jours
Point culminant
2 300 m
% de pistes
50 %
La carte du voyage
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RD Congo (Congo-Kinshasa)

Attente kinoise

J'avais entendu beaucoup d'histoires à propos de la RD Congo. Comme souvent, c'est dans l'avion que je réalise les difficultés qui m'attendent. Le vol est long, mais m'assure une certaine protection contre tous les maux que l'on a pu me décrire sur le pays.
En ce début d'après-midi du 22 juillet, j'arrive donc à Kinshasa. L'aéroport est vétuste, date de l'époque coloniale belge (1940), n'a pas été rénové depuis et m'offre un premier aperçu du pays. Les douaniers contrôlent minutieusement les passeports, tandis que leurs collègues féminines vérifient attentivement les certificats de vaccination internationale. Devant moi, l'un ne satisfait pas les conditions du premier et est immédiatement dirigé vers un bureau dans lequel l'attendent quelques officiers de la DGM (Direction Générale des Migrations). Le suivant ne remplit pas les conditions sur son carnet de vaccination. La sanction est identique. C'est à mon tour. Je suis nerveux, mon sourire est forcé. Je franchis la douane avec un premier ouf de soulagement. La seconde étape commence.

La salle des bagages est libre à tous, voyageurs comme visiteurs. L'ensemble des bagages arrive après 2h30. Je récupère mon vélo, mais il me manque une sacoche. Un « bureau », dans le coin de la salle, enregistre les nombreuses pertes, notées à l'aide d'une lampe torche dans un cahier d'écolier. Je ne sais pas encore si je la reverrai.
Il me faut trouver un lieu où dormir. Heureusement, les longues heures de vol et de transit favorisent les discussions et tissent les relations. Je suis invité par Emmanuel, un congolais-belge qui songe revenir s'installer définitivement au pays afin d'y développer ses affaires (construction d'un hôtel, projet dans l'alimentation). Deux jours durant, je vis au rythme d'une famille aisée : je rencontre des hommes d'affaires, des avocats, des hommes importants voire influents dans la ville. Je loge chez le neveu d'Emmanuel, Christian, qui m'emmène voir un concert onéreux en plein air de la star locale, Koffi Olomide, entouré de plusieurs danseuses de rumba.
La capitale, en plein développement, est assez désordonnée, grouillante, et anarchique. Les 4x4 et les Mercedes prolifèrent, signe de l'affirmation d'une classe aisée, mais aussi des inégalités avec la majorité de démunis. 
Cette invitation me donne une première entrée en matière du pays. Désormais, je ne désire que mon vélo, impatient de retrouver une vie imprévisible et plus intense. Ma sacoche est enfin arrivée. Pascal, un ami de Christian, me dépose à l'aéroport. Je lui offre ma bouteille de vin. Le 24 juillet, dans l'après-midi, ma traversée débute enfin.

Sur la Nationale 1

La route, asphaltée et rénovée à la fin des années 2000, s'éloigne progressivement du fleuve Congo vers des collines de plus en plus marquées. La chaleur, persistante au début de l'après-midi, laisse la place rapidement à la fraicheur du soir.
A 50 km de la capitale, l'ambiance change et j'ai déjà l'impression de me sentir dans un Congo plus profond. Des cris, des sourires, des hurlements. Les enfants, grouillants, se précipitent et s'agitent frénétiquement, portent leur petit frère pour voir le rare Mundele (Blanc) à s'aventurer sur leur terre. Les « Bonjour, ca va ? », auxquels les Congolais répondent parfois en choeur d'un « Ca va bien. » ne se comptent plus. Ma présence ne laisse personne indifférent dans ces nombreux villages atypiques, aux cases/huttes sans eau ni électricité.
Si la route longe une ancienne ligne électrique (la seule du pays, construite il y a près d'un demi-siècle), cette dernière ne dessert aucune ville avant le Katanga.
Je fais connaissance avec une misère qui semble porter le visage de tant de congolais. En dormant dans l'un de ces villages, sous la bienveillance du chef, je suis bercé par les chants des enfants, et touché par la complainte de certains d'entre eux. « Pourquoi n'investissez-vous pas chez nous, afin de construire des routes ? » me supplient Serge et Florent. Plus loin, le discours est le même : « Nous n'avons pas de travail », clame Justin, qui marche plus de 20 km pour atteindre la ville de Kenge. Certains ont fait des études, mais restent cloisonnés dans un chômage persitant. Le gouvernement, jugeant bon de multiplier les universités, en a fait édifier y compris dans les villages. Ces universités de brousse, que l'étudiant paye près de 600 USD par an, ne possèdent alors ni internet, ni professeur, ni bibliothèque. J'observe avec stupeur la bibliographie d'un Mémoire de recherches d'un étudiant venant juste de réussir sa 5e année : seul un ouvrage général de géographie côtoie le Petit Larousse (pour le peu d'ouvrages, j'espère qu'il l'a appris par coeur). Quid de la valeur du diplôme ?
Le Blanc est forcément riche. Aussi, les demandes de souvenirs et d'argent sont nombreuses, mais se terminent à chaque fois par un sourire. « Ça fait 10 minutes que nous parlons, je suis désormais ton ami. Tu n'aurais pas 100 USD pour moi ? » Bon, je vous donne la demande la plus démesurée, mais globalement, ça se passe comme ça. Peut être que l'argent est perçu de manière différente ici. Toutefois, en (méchant) petit homme occidental, j'y perçois là une perte de dignité qui les place dans une posture de servitude. Voient-ils en moi, au Blanc un sauveur, un homme providentiel ?

Le trafic est moindre. Les rares camions sont plus souvent en panne qu'en état de fonctionner, et il leur faut plus de 3 jours pour atteindre les 525 km reliant la capitale à Kikwit, soit autant de temps que moi.
Ces camions sont surchargés aussi bien de marchandises que d'hommes et de femmes. Aussi, les accidents, graves, ne sont pas rares. Par deux fois en deux jours, j'apercevrai un camion fraichement renversé. J'épuise et fais don mon stock de pansements, soins dérisoires à la vue des morts et des blessés. A mon tour je serai victime d'une petite collision avec une moto à Kikwit. Les plaies seront minimes, mais s'aggraveront durant la suite de mon voyage.
Les raidillons sont nombreux, particulièrement vers Kenge, à mi-chemin sur la route menant à Kikwit. A 15 km du but, je suis invité à manger, sous le regard béat de dizaines d'enfants. Je rencontre Mbangu, chauffeur-mécanicien aux moyens très modestes qui se propose de m'héberger à Kikwit. Je suis accueilli par sa famille : sour, nièces, frères, enfants, pasteur, etc. Trois de ses frères partagent avec moi leur matelas inconfortable pour la nuit.
La ville n'a rien de particulièrement attractif, comme la plupart de celles que je traverserai en Afrique centrale. Pourtant, il s'agit là de la première ville de plus de 500 000 habitants que je traverse à être dépourvue d'eau courante et d'électricité le soir. Ce ne sera pas la dernière au Congo Démocratique. Ce sera aussi la dernière ville avant Kananga et Mbuji-Mayi dans laquelle je pourrai siroter une excellente bière congolaise à prix abordable (un peu plus d'un euro la bouteille de 75cl).
Les 95 derniers kilomètres d'asphalte se passent rapidement, et je campe à quelques kilomètres du début de la piste. Ce soir encore, les seules lumières à l'horizon sont celles de l'un des gigantesques feux de brousse, nombreux dans le pays. Avec la piste, le voyage prendra désormais une autre tournure.

Km 622 : début de la piste

« L'état des pistes en RDC dépasse largement tout ce que tu peux imaginer ».
Comme l'ensemble de tous les voyageurs que j'avais pu contacter, Ben, un cycliste australien m'avait averti avant de partir. Les premiers kilomètres confirment ces impressions. Les pistes congolaises dépassent largement l'imagination. J'évolue toujours sur la RN1, soit l'axe routier principal du pays reliant les deux villes les plus importantes : Kinshasa et Lubumbashi. Pourtant, désormais, les automobiles et les bus sont inexistants. La piste est alors empruntée par quelques rares camions journaliers, qui peuvent alors mettre près d'une semaine pour parcourir 300 kilomètres. J'en réaliserai à peine près de 60 par jour avec mon vélo, poussant ma monture et luttant tant bien que mal contre le sable dans lequel mes roues s'enfoncent ponctuellement. La portion reliant la ville de Tshikapa, de plus de 260 km, sera sans doute l'une des plus difficiles du voyage. Les passages roulants sont rares. Péniblement, j'avance, poussant ma monture durant une grande partie de mes journées.
Après quelques kilomètres dans ces sillons sablonneux creusés par les rares camions journaliers, je bifurque sur des chemins de délestages, suivant alors les conseils de villageois. Ces chemins étroits, parfois carrossables et moins sablonneux sont ceux qu'empruntent chaque jour des centaines de cyclotransporteurs. Eux marqueront le fil de ma traversée. Ils seront particulièrement nombreux à transporter plus de 200 kg d'huiles de palme et autres marchandises, poussant seul, à deux, voire à trois leur vélo dans le sable durant plusieurs centaines de kilomètres jusqu'à Tshikapa, jusqu'en Angola. En ôtant le pédalier, en relevant le guidon et en y ajoutant des leviers de bois, ils peuvent ainsi transporter des charges plus conséquentes, à défaut de pouvoir pédaler. Dans un pays où beaucoup disent souffrir, eux sont les plus mal lotis. Leurs conditions de vie sont sommaires, cueillant, voire chassant ceux qu'ils trouvent dans la brousse, dormant à même le sol dans les villages. Eux ne vivront pas jusqu'à 40 ans. Ce sont pourtant bien eux qui sont les garants d'un commerce national exsangue. Leur courage fait relativiser ma souffrance et force mon admiration. Il m'arrive de partager mon eau, chaude et brunâtre que j'ai demandée dans les villages, de donner un peu de colle, voire l'une de mes deux chambres à air pour contribuer à réparer leur vélo archaïque. Souvent, j'assiste impuissant à leur détresse. Je suis concentré à surmonter ma propre souffrance, longeant tantôt la ligne électrifiée, tantôt les traces de pneu de ces cyclotransporteurs, m'éloignant alors fréquemment de l'axe principal.

« Nijao, nijao ». Les enfants ici me prennent parfois pour un chinois : les Européens sont rares dans la région et les seuls blancs sont souvent des investisseurs ou travailleurs chinois. Ma présence trouble la vie de ces villages à l'écart des échanges, du commerce, de l'électricité, de nos préoccupations. Des hommes vêtus de feuilles de palmier et de masques amusent les nombreux enfants. Danses et chants animent les villages le soir. La nuit tombant, en campant dans la brousse à proximité de l'un d'entre eux, ces chants résonnent encore jusque dans la tente.
En côtoyant la vie de villages si peu visités par les touristes, les rencontres me donnent l'occasion de tutoyer le quotidien des populations si curieuses à mon égard. Dans un village, c'est un instituteur qui m'accueille, affirmant ne pas recevoir son salaire de misère (40 USD par mois) depuis plus de deux ans. A la frontière entre la province du Bandundu et du Kasaï, où un nouveau pont a été édifié il y a moins de deux ans par les chinois, c'est un fermier qui m'autorise à planter ma tente dans sa modeste parcelle : quelques poules et fruits tout au plus. Plus loin, après quelques nouvelles rencontres marquantes avec certains de ces cyclotransporteurs, c'est un Témoin de Jéhovah qui m'invite à dormir et à manger, y compris au petit-déjeuner l'inlassable fufu (sorte de purée à la farine de manioc, que l'on malaxe avec trois doigts, et que l'on trempe dans les sauces, ou plus souvent dans la feuille de manioc), que je ne supporterai bientôt plus. Le regard illuminé, Jean s'exclame, enthousiaste : « Je pars à vélo avec toi à Tshikapa ! Je prends un peu de fufu pour manger en cours de route ! ». Mon acceptation ne reflète pas mon regard décrépi et déconfit à l'idée d'un trop-plein de fufu. Je parviens à partir seul. Je ne le reverrai plus. Mais ma route est toujours suivie de près par l'un de ces nombreux congolais qui cherchent à m'accompagner à vélo.
J'arrive avec peines dans la ville de brousse de Tshikapa, dans laquelle il me faut encore péniblement pousser mon vélo dans le sable fin. Ce soir encore, je suis épuisé. Je trouverai refuge dans un poste de police.

En arrivant en RDC, je redoutais la corruption. Pourtant, jusqu'à présent, j'y ai plutôt échappé, prenant avec humour les quelques demandes d'argent lors des chekposts militaires et de la DGM (aux frontières entre les provinces), et ne portant pas attention aux quelques tentatives des policiers de m'arrêter. D'ailleurs, il s'avère même que certains d'entre eux se montrent simplement curieux à mon égard. S'ils demandent souvent une petite rémunération, la grande majorité des militaires, DGM, comme policiers sont le plus souvent bienveillants à l'égard des touristes.
Ce soir, alors que je m'apprête à sortir de la ville de Tshikapa, j'accepte l'invitation de policiers à planter ma tente au milieu d'un chekpost/poste de police. L'ambiance est joviale, et le repas rassasiant. Les sauces qui accompagnent le poisson ou encore le poulet en RDC sont toujours excellentes, mijotées durant plusieurs heures. Le salaire de ces policiers n'atteint pas 40 USD par mois, et les oblige à arrêter les rares motos et camions pour leur extorquer plusieurs billets de 500 F (soit 0,4 €). Ce soir, j'échappe à ces pratiques, mais je me sens parallèlement gêné de me retrouver au milieu de ces affaires.
Dès lors, les chekposts seront plus nombreux et plus ou moins officiels (police, militaires, mais aussi simples « travailleurs » tendant une corde faisant office de barrière). Beaucoup réclament « quelque chose ». Mais avec de la tchatche et de l'humour, on s'en sort souvent bien. Pour ma part, je brandis souvent les manuels qui m'ont été donnés par les Témoins de Jéhovah (nombreux, illuminés, et perçus de la même manière qu'en France par les autres locaux): « C'est pour votre développement spirituel ». La conversation finit toujours par un éclat de rire (« Tu as de l'humour le Blanc »). Cependant, certains les acceptent. En convertissant ainsi ces pauvres travailleurs à leur insu, je suis rapidement à court de stock des fameux Réveillez-vous, ou encore Les gens s'interrogent.

Grand' Route pour P'tit Malet

A partir de Tshikapa, je poursuis sur ce que l'on appelle « la Grand' Route », vers Kananga. L'étroit chemin de délestage évite la piste très sablonneuse empruntée par les camions. Les villages se succèdent et s'enchainent sans discontinuer. L'accueil demeure très bon. Malgré les nombreuses demandes d'argent (puisque, forcement, le Blanc-Mundele-Mutohoke selon la langue locale est très riche), les Congolais sont très hospitaliers. Personne ici ne veut me laisser dormir dans la brousse. D'ailleurs, personne ne comprend pourquoi je le fais, m'invectivant lorsqu'ils aperçoivent mon campement au matin. Pourtant, j'y trouve là quelques moments de calme et de tranquillité au terme de longues journées agitées à devoir traverser ces innombrables villages et ces cris d'enfants.
« Mutohoke. Mutohoke. » (« Blanc » en langue Tshiluba). Un gamin de 4-5 ans, cent mètres devant m'a aperçu. Ces cris aigus préviennent alors la meute, qui l'imite et cherche à se démarquer et augmentant progressivement le nombre de décibels. Tout le monde est prévenu, jusqu'au village suivant. A chaque village, les enfants courent alors derrière moi : ils sont 10, 20, voire plus.
A Kamuesha, 130 km environ après Tshikapa, les pistes de délestage rejoignent la voie principale dans ce qui constitue une petite jungle. Les travaux d'aménagement rendent la piste dans un état carrossable si bien que je peux pédaler la plupart du temps jusqu'à Kananga, capitale de la province du Kasaï, au trafic automobile plus dense. Pour la première et la dernière fois depuis Kikwit, je dépasse les 130 km dans la journée. Les paysages sont à nouveau plus vallonnés, et l'asphalte reprend sur près de 30 km. Une vraie bénédiction ! Le temps de graisser ma chaîne à l'huile de palme et je dors une nouvelle fois dans la brousse/jungle, sous les assauts répétés des moustiques.

Le plaisir de rouler à nouveau sur l'asphalte est de courte durée et le sable vient à nouveau hanter mes journées. Je rejoins toutefois assez rapidement le lac Mukamba, paisible écrin turquoise à la frontière entre les deux Kasaï, à laquelle il me faut à nouveau m'inscrire sur les petits cahiers de la DGM. Les villages sont toujours interminables avant d'arriver dans les premières avenues sablonneuses de Mbuji-Mayi. Il s'agit de la principale ville au centre du pays, qui compte plus de 1,5 millions d'habitants, réputée pour l'exploitation de diamants, dont le Congo Démocratique en est l'un des principaux producteurs mondiaux.
Décidé à prendre une après-midi de repos, je me dirige vers le foyer CARITAS, foyer catholique et havre de paix et de confort. Le centre dispose en effet d'une connexion internet et d'un groupe électrogène. Sous le généreux accueil et les bons conseils des Pères, je réfléchis pour la première fois quant à la suite de mon parcours. Le Kivu se rapproche.

Repos forcé

10 km d'asphalte, ce n'est pas beaucoup, mais ce seront les derniers avant le Kivu. Une bifurcation me mène alors sur une piste plus caillouteuse mais roulante. Après la traversée de deux rivières, les paysages deviennent à nouveau vallonnées, et la piste plus sablonneuse. Les montées sont sèches à tel point que je me réhabitue à devoir pousser mon vélo. Je campe à proximité d'une antenne téléphonique surveillée par un gardien. Le générateur électrique, seule source de courant dans les environs, permet au village de recharger les téléphones.
Le sable devient de plus en plus important. Je suis épuisé et je manque d'énergie. Si j'ai toujours de l'avance sur mon planning, la piste m'en a d'autant plus éprouvé. Depuis Mbuji-Mayi, ma fatigue est chronique. Souvent, je plante ma tente dans la brousse avant même 17h (la nuit tombe à 18h) pour m'y effondrer avant d'avoir gonflé mon matelas. Le soleil de l'après midi et la répétition des pistes en sont la cause. Certainement aussi que le fait d'avoir perdu près de 10 kg en trois semaines a de l'influence.
Aussi, je commence à subir les conséquences des difficultés alimentaires au coeur du pays. L'eau, ici, a parfois la couleur de la terre. Plus à l'Est, elle sera blanchâtre et assez lourde. Il arrive que l'eau des rivières, donnée volontiers par les villageois, ait souvent un goût fétide. Je m'en sers pour la toilette, bien qu'il arrive que je n'aie pas le choix. Mon estomac a tenu jusqu'à présent. Malgré un traitement régulier de l'eau, il commence à souffrir. Les 7 litres d'eau journalier ne l'aident pas.
Après avoir essayé les chenilles (parfois très bonnes), le chikwange (manioc fermenté), ou encore le rat, j'éprouve le besoin de revenir à d'autres fondamentaux culinaires. De même, je développe une aversion de plus en plus importante pour le manioc et le fufu, qui finissent par m'écoeurer au point de ne plus pouvoir en manger. Si les plats (chèvre, poulet, poisson) et les sauces sont souvent bien cuisinés, la plupart des gargotes locales proposent une nourriture avariée.
A l'écart des villes, les échoppes ne sont achalandées que de lait en poudre, de biscuits, voire de café et de sucre. Si l'on trouve régulièrement des bananes au prix variable dans les villages, les ananas, excellents, sont plus localisés. Seules les arachides sont des sources de protéines que l'on trouve à peu près partout. Les haricots sont plus rares. Les pommes de terres et le riz sont inexistants. A ne cultiver que le manioc, les villageois ne récoltent ainsi que leur propre souffrance.
La blessure au pied contractée à Kikwit n'était pas grave. Mais en poussant durant de longues heures chaque jour, elle ne pouvait que s'infecter, malgré mes efforts de la protéger primitivement avec des morceaux de savon de Marseille, du papier hygiénique et une chaussette. Les kilomètres avancent et j'ai de plus en plus de mal à pousser ma monture.
Je m'effondre une fois de plus avant la nuit dans ma tente, plantée hâtivement dans la brousse, sans rien avoir mangé. Après une nouvelle journée à pousser mon vélo dans le sable et les vallons dans un état fiévreux, je songe à me reposer à Kabinda. Plus que 30 km. Ce soir, je m'interroge. Ai-je le paludisme ? Ou peut-être ne sont-ce simplement que les champignons ingurgités la veille.

Amaigri et épuisé, j'arrive laborieusement à Kabinda, espérant trouver refuge dans la Procure diocésaine. Deux jours durant, je tâcherai de soigner ma blessure, observant les moyens rudimentaires avec lesquels le centre de santé local s'occupe de ses patients.
Les foyers catholiques, CARITAS comme Procure sont toujours l'occasion de faire d'excellentes rencontres. A Mbuji-Mayi, j'avais eu une discussion passionnée sur l'histoire du pays avec un professeur d'université et observateur à l'ONU. A Kabinda, je rencontre quelques membres et observateurs de l'UNICEF, et surtout les premiers Blancs (albinos exceptés) du voyage, deux membres de l'ambassade américaine. Ces échanges me permettent de comprendre la société congolaise sous un aspect différent de ce que j'ai pu vivre jusqu'à présent.
Ce temps de repos me permet aussi d'observer le syncrétisme religieux lors des différentes messes : les chants en langue locale, rythmés, s'accompagnent du tamtam et de la guitare. La cathédrale de Kabinda, édifiée en 1933, a su conserver un air mystique, amplifié par ces chants de la chorale et de la messe devant une foule de croyants en transe.
Je m'apprête à repartir. Tout le monde ici est unanime : la piste qui s'annonce sera des plus sablonneuses.

D'une paroisse à l'autre

« Bonjour, je suis officier de la DGM [Direction Générale des Migrations]. Je voudrais contrôler vos documents. » Un homme en chemise vient de débarquer en pirogue de l'autre côté d'une rivière que je dois traverser. Les contrôles de documents, au Congo Démocratique, sont choses courantes et je m'y suis habitué. Théoriquement, je dois me faire contrôler dans chaque ville en me rendant aux bureaux de la DGM, mais j'y ai jusqu'à présent toujours échappé, même lorsqu'ils venaient me chercher : faux rendez-vous, départ anticipé, départ le dimanche (fermeture des bureaux).
Toutefois, il est plus difficile, voire impossible de fuir aux chekposts sur la route.
L'officier recopie si lentement les quelques chiffres et numéros de mon passeport et de mon visa que je me demande s'il cherche à les retenir par coeur ou s'il va s'endormir dessus. Je vois la chose arriver, elle arrive : « Maintenant, il vous faut payer votre droit d'identification, en bières si possible. » Comme si je lui étais redevable de m'inscrire sur son petit cahier d'écolier. Ma lassitude et mon humour fonctionnent selon mon état de fatigue. Pourtant, en négociant, péniblement parfois, je n'ai jamais rien payé. Nul doute que, dans un pays où la corruption est institutionnalisée, lorsqu'il rendra des comptes à son supérieur, cet officier devra lui aussi verser quelques Francs congolais.
Je traverse la rivière. J'ai quitté Kabinda depuis plus de trois jours et je suis à 15 kilomètres de Lubao. Je m'apprête alors à recevoir de plein fouet ma première pluie de mousson.
Les cyclotransporteurs redoublent et circulent parfois en convois, au point de constituer de véritables embouteillages pour emprunter la meilleure partie de la piste.
Trempé, j'arrive à Lubao. Je suis à nouveau épuisé, et trouve refuge dans la paroisse locale. Il peut pleuvoir, je suis à l'abri désormais. L'abbé Arthur m'offre un lit et un repas copieux. Fatalement, je serai à nouveau malade le lendemain.

Depuis Mbuji-Mayi, j'avais quitté la RN1 pour la RN2, encore moins fréquentée. A partir de Lubao, j'évolue toujours sur une nationale, mais de moindre envergure. La piste, très étroite, prend des aspects de chemins muletiers. Les cyclotransporteurs sont toujours omniprésents. Je m'enfonce dans une végétation plus dense, entrecoupée par des villages, plus isolés que jamais. Dans l'un d'eux, un homme qui n'a rien d'officiel, aux lunettes de soleil et à la toque en peau de léopard, m'arrête en s'époumonant sur son petit sifflet vert :
- «  Taxe pour vélo : 2100 Francs [un peu moins de 2 €]. Comme tu es Congolais, tu dois payer.
- Mais je ne suis pas Congolais [.]
- Tu es peut-être Français, mais en venant au Congo, c'est comme si tu étais provisoirement Congolais. »
Je lui montre mon passeport, tout en le gardant bien en main, en lui expliquant que les taxes avaient déjà été payées pour le visa. Encore une fois, je m'en sors.
Le sable, encore ponctuel, laisse place peu à peu à l'argile. J'entre dans la province du Katanga, soit la province la plus riche du pays. D'une superficie presque égale à la France, le Katanga renferme l'ensemble des gisements de cobalt, de cuivre, de fer, d'uranium (à destination de l'Iran notamment), et de diamant en RDC. De ce fait, la région cristallise les enjeux géopolitiques régionaux et revêt une importance capitale pour le pays. Son gouverneur, Moïse Katumbi, a acquis une notoriété prestigieuse de par sa gestion du club de football de Lubumbashi (capitale de la province et « rivale » de Kinshasa) aussi bien que par sa gestion : l'agriculture y est plus développée (riz), et le développement plus prometteur. Toutefois, je ne traverserai que le Nord du Katanga, soit sa partie la plus pauvre et délaissée.

La nuit tombe. Je loge à nouveau dans une paroisse locale, le temps de sonder à nouveau les villageois et de chef du village. J'évoque les difficultés alimentaires : « vous avez des chèvres, mais vous ne trayez pas le lait. Vous avez des poules, mais pas d'oeuf pour manger ». Une nouvelle fois, l'on invoque l'aide des ONG, des occidentaux, l'espoir d'obtenir des machines pour lesquelles l'on ne pourra se servir, faute de connaissances et de savoir-faire agricultural. Les gens se reposent sur une aide providentielle comme beaucoup s'assoient sur leur chaise toute la journée (manque de forces dû à l'alimentation ?), et tentent de nourrir tant bien que mal leurs 7-10 enfants. Avec la fatigue, je deviens franc, direct, voire parfois assez dur. Mais cette absence de tout me lamente et m'écoeure. Diamant, cuivre, coltan, or : la RDC est un pays si riche que l'on pourrait aisément trouver de l'or dans les parcelles de ces paysans pourtant si démunis. Paradoxalement, le pays est si pauvre de par sa population, de par ses conditions de vie et de par ses voies et modes de communication. Toutefois, je reste persuadé que dans un tel état de ruines, la responsabilité est partagée. Certes la corruption institutionnalisée et ancrée dans les moeurs y est pour quelque chose, certes nos gouvernements qui soutiennent le pouvoir en place ici ne sont pas innocents. Mais la misère est aussi entretenue par ces villageois au fatalisme aggravé par les années de guerre.

Contraste. Malgré l'absence de tout, malgré les nombreuses mendicités, l'accueil dans les villages a toujours été formidable. Surtout il constitue une occasion d'observer de nombreuses scènes : préparation de la farine de manioc, ou encore les très nombreuses naissances et les décès célébrés par des chants et des danses. Bien souvent, ma présence trouble ces scènes. Partout où je passe, je me sens observé par des dizaines de paires d'yeux. Lorsque je m'arrête, les enfants s'agglutinent alors, observant scrupuleusement et béatement le moindre de mes faits et gestes.
« Olivier, Olivier ». Les gens ici et là scandent le nom d'une personne que j'avais contactée avant mon départ, et qui avait emprunté à vélo les mêmes routes que les miennes en sens inverse. Olivier Croufer est le dernier touriste à avoir parcouru les lieux il y a deux ans et l'on me confond avec lui. Ils ont connu Olivier, ils connaîtront Aymeric.

Kivu sans coup férir

Le Sud et le Nord Kivu sont les provinces les plus troublées de la RDC. La guerre, qui a débutée en 1997 suite au génocide rwandais ne s'est jamais arrêtée. Viols, pillages, actes de banditisme, déplacements et massacres de civils sont les faits courants de milices plus ou moins reconnues.
La piste laisse place à l'asphalte durant les premiers kilomètres. Le trafic relativement important, les postes militaires, les véhicules de l'ONU et surtout les nombreux villages et villageois marchant sur le bord de la route me font m'y sentir en sécurité. Je questionne souvent certains d'entre eux :
« - En France, on pense que c'est la guerre dans tout le Kivu. 
- [sourires] Ici, nous vivons en paix. La situation est relativement stable depuis plusieurs années. La guerre se situe davantage dans le Nord, à proximité du parc des Virunga. »
D'autres conversations aboutissent aux mêmes conclusions. Toutefois, je ne veux pas prendre le risque de dormir dans la nature. Les villageois sont toujours bienveillants, mais je cherche à dormir dans un camp militaire de la MONUSCO (forces de l'ONU). Les casques bleus sont ici des Pakistanais, en mission pour un an. Moi qui voulais me rappeler aux bons souvenir de ce pays et de son accueil, j'échoue lamentablement à m'y faire inviter. Je dormirai à l'extérieur, sous l'oeil de la sentinelle. Les villageois, curieux, m'interrogent.

Je suis à la frontière rwandaise, mais je poursuis au Kivu, sur la route dite du M'Gomo. La piste s'élève à flanc de montagne durant près d'une vingtaine de kilomètres. Malgré le mauvais temps, les vues sur les gorges du Ruzizi demeurent assez impressionnantes, mais laissent place à des paysages moins scéniques que ce dont à quoi je m'attendais. Les montagnes m'apparaissent arides, voire brulées. Au terme d'une montée laborieuse, je redescends progressivement sur Bukavu via une piste boueuse, caillouteuse, puis bosselée. Cette journée confirme à nouveau mes impressions de la veille : les conflits au Kivu sont localisés et concentrés sur certaines zones, plus au Nord (Masisi). La route que j'ai empruntée est relativement sûre.
Je fais halte dans un centre de santé peu avant Bukavu pour pouvoir y dormir. L'infirmier partage son repas. L'agriculture au Kivu lui confère une alimentation plus riche et variée : bananes plantain, aubergines, pommes de terre, haricots, etc. Pourtant, je n'arrive plus à manger. Sachant que cela constitue un affront à l'accueil congolais, je me force, pensant que mon estomac, désormais habitué à peu manger (voire à ne pas manger du tout) le soir, a rétréci : une premier pour moi !
J'arrive à Bukavu en fin de matinée. La piste cahotante ébranle chaque os de mon corps. Le trafic est dense. Christian, qui m'avait hébergé à Kinshasa, m'avait donné l'adresse de la boulangerie familiale à Bukavu. Le Rwanda en ligne de mire, j'atteins enfin la boulangerie la Providence, qui a fait la renommée et la fortune de cette famille, et qui distribue du pain jusqu'au Rwanda. Je suis invité par Aymé, le frère de Christian. La mère, gérante d'un hôtel haut de gamme, me propose de me loger gratuitement. Je suis gêné par tant d'attentions, mais préfère l'authenticité d'une invitation au coeur d'une famille. Durant plus d'une journée, je tente de réhabituer mon estomac à manger de manière occidentale: sodas et bières (locales), pizza, ou encore saucisson de Bukavu.

La vie a Bukavu n'a pas toujours été si facile, y compris pour cette famille. Suite au génocide rwandais, qui a vu l'accentuation du nombre de réfugiés au Kivu, les crimes de guerres ont fait de nombreuses victimes à Bukavu jusqu'en 2004, et qui alimentent aujourd'hui encore la rengaine de nombreux Congolais à propos de leur voisin. « Tu appelles ton ami, le soir, pour savoir s'il est bien rentré. C'est un Rwandais qui décroche : 'ton ami s'est endormi.' ». Aymé m'évoque de cruelles histoire à propos du sombre passé de la région et du pic de violences de 2004. Durant cette même période, la boulangerie familiale a été pillée.
Aymé me raconte aussi de passionnantes anecdotes de ses voyages, alors qu'il achetait des 4x4 en Afrique du Sud pour les conduire et les vendre à Kinshasa. Frôlant la mort dans un hôtel en Zambie empoisonné par des voleurs, ou encore jeté une semaine en prison au Kasaï sans jugement, croupissant dans des conditions les plus sommaires et traité comme un animal, ce personnage est atypique.
Triste de quitter cette famille si accueillante, je me dirige vers la frontière.

Au final, la RDC s'est avéré un pays très intéressant, bien que je pense qu'il ne s'agisse pas là d'un pays pour pratiquer un tourisme conventionnel : si les paysages sont assez bucoliques dans le Kivu, si les cascades et les parcs nationaux sont nombreux, les nombreux problèmes auxquels le pays est confronté (absence de voies de communication, guerre au Kivu, etc.) en bloquent le développement. De la même manière, les sites en eux même ne sont pas les plus intéressants que j'eu fait jusqu'à présent. Pourtant, la RDC se prête formidablement bien au voyage, à la découverte. Tant de choses, tant de scènes observées paraissent inimaginables même dans tout autre pays. L'imaginaire détermine et façonne le voyage au Congo : cela peut être à travers la littérature historique (récits de Stanley, roman de Joseph Conrad), ou plus contemporaine. Il n'y a qu'a lire les rares blogs traitant du sujet pour se rendre compte a quel point ce pays est spécial. Oui, ce pays est spécial, unique, même en Afrique je pense.  
En RDC, il y a comme une sorte de décalage avec le réel.  

Après plus d'un mois au Congo Démocratique, j'entame un nouveau pays, beaucoup plus petit : le Rwanda.

Rwanda

Espoirs retrouvés

De l'asphalte, des banques, des commerces plus achalandés, une corruption beaucoup moins pesante, de l'électricité y compris dans les villages. La différence entre le Rwanda et son géant voisin est frappante. Déjà, de Bukavu (1 million d'habitants), la majorité des lumières nocturnes provenaient de la ville frontalière rwandaise de Cyangugu. Jamais une frontière ne m'a paru porter aussi bien son nom. Pourtant, le Rwanda demeure aujourd'hui encore l'un des pays les plus pauvres de la planète, figurant encore parmi les PMA (Pays les Moins Avancés). Il faut dire que la comparaison avec son voisin congolais, 187° et dernier Etat au classement de l'IDH (Indice de Développement Humain) en 2011, est aisée.
La frontière se passe étonnamment sans encombre, et le visa est moins onéreux que prévu (30 USD). Désormais, la nouvelle route, asphaltée par les Chinois, alterne entre montées et descentes si bien qu'il n'y a plus un mètre de plat. Le pays des Milles Collines porte bien son nom. Derrière chacune d'entre elles, une maison, un village.

« Muuzunguuuuu. » Le cris aigu d'enfants de trois ans alterne parfois avec une version plus saccadée « M'zungu, m'zungu, m'zungu ». Derrière chaque virage, des enfants, qui tentent parfois tant bien que mal de me suivre en courant sur plusieurs centaines de mètres, réclamant de l'argent.
Le pays me parait plus populeux encore que son voisin, et trouver un endroit à l'écart des zones habitées pour se reposer n'est pas chose facile. Pourtant, je suis loin de me sentir oppressé par la présence humaine. Entre théïculture et bananiers, le Rwanda est un pays assez verdoyant. Si les maux du passé restent encore présents dans les esprits, les Rwandais ont la volonté de repartir de zéro. La croissance et le développement installent une vague d'espoir parmi la population. Malgré les dérives autoritaires de Paul Kagame et de son gouvernement, certaines mesures paraissent avisées. Le Rwanda est le premier pays en développement que je traverse à interdire la distribution de sachets en plastiques dans les commerces. Ce genre de mesures s'inscrit dans l'objectif avoué et utopique du projet Rwanda-Vert 2020, visant à faire du pays un mélange antagoniste de Singapour et de Suisse africaine.

En évitant la forêt de Nyungwe, je longe le lac Kivu par une piste caillouteuse. L'asphalte est en projet et les premiers kilomètres ont été améliorés par les Chinois. Les éclaircies matinales me permettent d'admirer la magnificence des fjords de ce lac volcanique, dans lequel repose encore des milliers de corps de victimes du génocide.
Un nouvel accrochage avec une moto me fera finir la fin de ma journée dans un centre de santé, avant de camper dans un commissariat de police, sous la bienveillance et l'accueil de l'officier.

Ma traversée du Rwanda est l'occasion de reprendre peu à peu de l'appétit et du poids. Si le prix de la bière en RDC variait avec les difficultés d'approvisionnement (de une euro à Bukavu, jusqu'à plus de 3 euros à Kongolo), le développement des voies de communication au Rwanda permet d'établir un prix fixe autour de 1 euro pour 75 cl de Primus, que l'on trouve partout. Bières, sodas et thé (excellent) sont l'occasion pour moi d'oublier le goût de l'eau. Mes repas alternent entre nourriture locale (avocats, plantains, fromage) et occidentale importée (beurre de cacahuète, pâtes, etc.) afin de me refaire une santé.

Sur la route des volcans, les pluies sont plus abondantes, y compris en saison sèche. L'asphalte est l'occasion pour moi de m'accrocher à quelques camions, une pratique que j'affectionne particulièrement. L'orage s'approche. Les montées sont sèches. Sous une pluie violente, j'atteins un village et trouve un abri, trempé jusqu'aux os. Frigorifié, je monte ma tente sous le regard incrédule des enfants.
En me levant tôt, j'espère apercevoir le lac Ruhondo par un détour sur une piste praticable. La vue sur ce lac et les contours Muhavura à plus de 4500 m d'altitude est exceptionnelle. Cette région regorge de lacs volcaniques et de volcans parfois toujours actifs (le Nyiragongo en est le plus illustre).
Je retrouve l'asphalte, mais évite le Parc National des Volcans. Le permis pour l'observation me ferait débourser 750 USD par heure. Mon portefeuille ne survivrait pas. Les étudiants bénéficient d'une réduction de 30 %, ce qui en porterait l'entrée à moins de 530 USD seulement. Nettement plus abordable !
La route est encore vallonnée jusqu'à la frontière. Je sympathise avec un cycliste rwandais avec qui je partage ma route avant de me préparer mon repas sous le regard d'une dizaine de badauds observant espièglement mes moindres faits et gestes.
Après à peine cinq jours au Rwanda, je suis déjà arrivé dans le pays suivant.

Ouganda

Le royaume de la banane

L'homme coupe sa respiration. Il regarde ses collègues. Sa bouche forme un rictus avant de lâcher d'une voie anormalement aigüe un « . Hè ! ». Je viens de décrire ma traversée à un Ougandais. En RDC, au Rwanda comme en Ouganda, ce tic, cette réaction de surprise et d'incrédulité est identique. De la même manière, j'ai aussi droit au « Heeeiin », plus long, plus grave, lorsque je demande confirmation à propos de ma route, me signifiant alors que je suis sur la bonne voie. Arrêté dans ce village, au sommet d'un col à plus de 2000 m d'altitude et au terme d'une longue ascension sur un asphalte parfait, je compte trouver un endroit où dormir. J'espère y admirer la vue sur les volcans, qui doit être sublime au lever du soleil. Espoirs vaincs : la pluie s'est installée et met un voile nuageux sur les paysages.
La route vallonnée semble descendre peu à peu. Passé la ville de Kabale, les camions sont nombreux et m'envoient un nuage de poussière qui semble se mêler à la couleur du ciel. La route est en construction et je trouve refuge dans le QG du chantier, financé par l'Union Européenne, géré par Stan, un sud-africain, et entouré par des ingénieurs israéliens. Ce soir, je bénéficierai d'un confort optimal : douche, repas occidental et à volonté en compagnie de ces hauts cadres.

Je décrivais le Rwanda comme un pays verdoyant. Que dire alors de l'Ouganda? Entre theïculture, pâturages, bananiers, forets, végétations tropicale et équatoriale, le vert est omniprésent dans les paysages, et seule la couleur de la peau des habitants est noire et celle du ciel est (souvent) grise. Aussi, la diversité de l'Ouganda lui confère parfois des airs auvergnats (tout ce chemin pour apercevoir ce que l'on retrouve à quelques kilomètres de chez nous...).
Les pâturages et les collines n'y sont probablement pas pour rien. Le lait des nombreuses vaches apparait pour moi comme une véritable bénédiction. Outre la fabrication de yaourts locaux, il agrémente surtout les nombreuses tasses de thé, ou plutôt les « récipients » de 0,7 L que l'on me sert chaque matin pour une vingtaine de centimes d'euros... Complété par les chappattis (pain-crêpes issus de l'influence indo-pakistanaise) auxquels les vendeurs courent les rues, y ajoutant souvent une omelette, ces repas constituent un bonheur journalier et matinal. Que le Congo semble loin désormais... Les gargotes abondent et l'on trouve aisément mais, brochettes, plats à base de pommes de terres, et surtout de bananes, qui constituent ici l'aliment de base. On en trouve partout, et de toutes les sortes (plantain en purée, cuites à la vapeur avec des haricots, etc.).
Apres la diète congolaise, je retrouve donc peu à peu des habitudes alimentaires le tout dans des proportions plus gargantuesques (la base de tout cyclovoyageur), d'autant que l'on retrouve  ici une production nationale plus variée : lait, fromage, miel, yaourts, et même glaces, que l'on trouve dans les petits supermarchés souvent tenu par des commerçants d'origine indo-pakistanaise. En entrant en Ouganda, j'ai donc l'impression d'effectuer un nouveau pas dans le développement.

Peu à peu, après une nouvelle piste d'une trentaine de kilomètres, et une route descendant progressivement à travers les plantations de thé, je me dirige vers la vallée du Rift. En traversant le parc national du Queen Elisabeth, je m'attendais à croiser le fer avec des centaines de mammifères. Le parc est situé sur la partie occidentale de la vallée du Rift africain, séparant la plaque occidentale (nubienne) et orientale (somalienne) de l'Afrique. La vallée s'enfonce progressivement et son altitude n'atteint pas les 1000 m. Le climat équatorial, les phénomènes volcaniques (lacs de cratères, sources chaudes) favorisent l'éclosion d'une faune variée : lions, hippopotames, chimpanzés, crocodiles, antilopes, hyènes, etc. En y ajoutant le parc frontalier des Virunga, la région possède l'une des faunes les plus riches d'Afrique.
Alors je l'ai certes traversé dans son axe principal et le moins touristique, ignorant ainsi le secteur des lions et des hippopotames, aux pistes rendues difficiles par le temps variable et surtout assez onéreux pour mon petit portefeuille d'étudiant : rien que pour accéder au secteur des chimpanzés, il me faut débourser 50 USD. Ca fait cher le chimpanzé ! Au final, deux troupeaux d'antilopes constitueront mon maigre butin. N'étant pas un passionné de la faune et de la flore, ce manque ça ne me rendra pas la jambe bien faite (le vélo, en revanche, pourra le faire).

De même, sur la route de Fort-Portal, je n'apercevrai pas les monts du Ruwenzori, culminants à plus de 5 100 m d'altitude, pas plus que je ne ferai le détour via une piste sur les lacs de cratères, qui ne me semblaient pas plus intéressants que cela. Je préfère savourer une journée de repos à Fort-Portal. Kampala se rapproche à grands pas.

Dernière ligne droite vers Kampala

On pourrait imaginer Fort-Portal comme n'importe quelle ville africaine grouillante et bruyante. Ce n'est pas le cas. La ville est paisible et verdoyante, et donne vue sur le massif du Ruwenzori. Après une journée au camping à participer à un « forum » étudiant sur la promotion de Fort-Portal, à ne pas participer à la soirée qui suit (fatigue), je fais route vers Kampala. Les 300 derniers kilomètres sont verdoyants mais monotones. Je prends mon temps afin de ne pas arriver une semaine en avance dans la capitale ougandaise.

« J'espère que l'odeur de l'opium ne te dérange pas. » L'officier me montre un petit bureau au fatras de documents non triés depuis le millénaire dernier. Trois grands sacs d'opium reposent dans un coin. C'est ici que je passerai la nuit, alors à une centaine de kilomètres de la capitale ougandaise. Cela n'aura pas été la seule invitation à dormir auprès d'un poste de police, et il est toujours aisé de poser ma tente a proximité. Quoi qu'il en soit, il s'agit aussi d'un révélateur de l'accueil reçu en Ouganda (on ne reçoit pas les gens avec de l'opium, rassurez-vous). Si l'accueil n'est pas aussi démonstratif et expressif qu'au Moyen Orient, il demeure pourtant bien réel: sourires, rires joviaux, et surtout de beaucoup de bienveillance à laquelle s'agrémentent les conversations curieuses sur nos vies et nos modes de vie respectifs. Il m'arrive parfois de me faire inviter à dormir : peu avant le parc du Queen Elisabeth, alors que je cherchais à m'abriter de la pluie dans une maison abandonnée, une jeune femme m'invite dans la ferme familiale, déplaçant chaises et tables afin de pouvoir déployer mon matelas au coeur de la petite salle à manger. A Kasese, peu avant Fort-Portal, je suis stupéfait de me voir refuser de planter ma tente dans une station-service. Aussi, c'est John, l'un des employés, qui m'invite dans sa modeste et vétuste demeure : une pièce de neuf mètres carré sans eau courante ni autres commodités. Le repas est frugal, mais l'attention me touche.
« Je parie que mon vélo est plus rapide que le tiens » s'exclame Gérard, me rejoignant sur son petit vélo d'enfant peu avant Kampala. Il m'accompagne quelques kilomètres. Lui a fini ses études depuis deux ans et est toujours au chômage. Sa joie de vivre malgré les malheurs (il vient de perdre l'un de ses frères) reflète tant celle des Ougandais.

Je ne peux m'empêcher de vous livrer cette célèbre phrase de Churchill datant de 1908 (alors a l'aube de sa carrière militaire) à propos de l'Ouganda:
« Pour la magnificence, variété de ses formes et de ses traits, pour la profusion de sa vie rayonnante : oiseaux, insectes, reptiles, animaux à une très large échelle, l'Ouganda est réellement la Perle de l'Afrique. »
Le début de la saison des pluies n'a pas favorisé l'éclosion de ces majestueux paysages (principalement au Sud. De même, je n'ai pas pu apercevoir les sommets enneigés du Ruwenzori culminants a plus de 5100 m d'altitude). Pourtant, le pays, moins beau que le Rwanda, demeure bien plus complet: volcans, lacs et gorilles au Sud, parcs nationaux à la faune variée (Queen Elisabeth, Kibale, etc.), hauts sommets (Ruwenzori), chutes (dont la Murchison Fall est la plus célèbre), etc. Malheureusement, le voyage à vélo repose sur des choix. Aussi, je n'ai pas le temps d'aller a l'Est pour voir les chutes et les paysages de Sipi (proximité du Kenya et du mont Elgon), et je n'ai ni eu la motivation de parcourir quelques 300 km de détour sur des pistes inintéressantes au Nord pour atteindre les chutes de Murchison. C'est la vie. Mais comme je compte vivre encore plusieurs décennies, je me réserve ces sites plus tard peut-être...

Dans le camping de la capitale, qui semble uniquement destinés aux touristes routards blancs, je m'ennuie. Je reprends contact avec Kévin, que je connais depuis le Lycée et qui travaille provisoirement en Ouganda pour le compte de grandes firmes internationales. Sa vie paraît en décalage avec la mienne : grands hôtels, grands restaurants, vie nocturne. Par deux soir, je l'accompagnerai en soirées, si spécifiques à Kampala : défilée de mode, musique locale, etc. La vie nocturne a ses charmes et ses vices. Aussi, le 16 septembre, je me dirigerai vers l'aéroport d'Entebbe, distant de 40 km, tentant de profiter une dernière fois de l'accueil local. La nuit tombe. Sur son vélo, Justin me guide vers un poste de police auprès duquel je pourrai dormir. Le cadre est idéal : le ciel étoilé semble se jeter dans le bleu profond du lac Victoria. Le lendemain, je donnerai ma tente à Justin. Je n'en ai plus besoin. Je flâne longuement dans une gargote remplie de ces pêcheurs à la vie rendue difficile par la raréfaction des poissons dans le lac Victoria. L'eutrophisation du lac constitue paradoxalement aussi dans certains cas une opportunité pour ces pêcheurs. Le poisson, denrée plus rare, se vend ainsi plus cher.
Nous échangeons sur nos vies respectives, sur la France, nos difficultés, nos privilèges, sur l'Ouganda et ses opportunités. La discussion est un moyen pour moi de laisser mon emprunté, si minime soit-elle sur le pays. La fatigue semble s'être évaporée, et il est plus aisé de nouer des liens.
Je me dirige vers l'aéroport, heureux. Mon vélo est démonté et emballé. Je m'envole, plein de souvenirs en tête.

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