Sur la Route de Mandalay - Myanmar (2015) - Les voyages du Ptit Malet
Sur la route de Mandalay
Thaïlande, Birmanie - 2015
Asie
Sur la route de Mandalay
Janvier 2015

Introduction

Cela faisait plusieurs années que je rêvais de parcourir les routes de la Birmanie. La myriade de pagodes et de minorités, la richesse de la culture ainsi que les couchers de soleil en font un pays mystérieux, envoûtant et resplendissant dans une symphonie de couleurs chatoyantes.
L'ouverture récente aux capitaux étranger et l'explosion touristique qui en découle depuis quelques années la met face à de nouveaux défis. Je voulais donc découvrir ce pays avant que ne s'achève cette période transitoire.
Au delà des bouleversements qui s'annoncent, aujourd'hui encore, voyager au Myanmar, c'est comme parcourir un poème de Rudyard Kipling.

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Distance
2 210 km
Durée
38 jours
Point culminant
1 580 m
% de pistes
5 %
La carte du voyage
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Thailande (Bangkok-Ayutthaya)

« Maman, j'ai raté l'avion »

Il est 10 heures en ce dimanche 14 décembre. Je range mes dernières affaires pêle-mêle et m'apprête à partir précipitamment à l'aéroport, me faufilant avec entrain entre les voitures le long des longues avenues parisiennes.
Il est trop tard. J'ai raté mon avion et je rejoins l'aéroport haletant au terme d'un périple d'une heure alternant entre vélo et métro. Délesté de 500 euros (soit le prix initial de mon billet), je monte dans le prochain avion et effectue mon baptême en A380 tout vêtu encore de ma tenue de cycliste.
Une escale et plusieurs repas plus tard, me voilà arrivé à Bangkok au terme d'une longue nuit.
Savoir qu'on roule à gauche en Thaïlande peut être utile, surtout lorsque l'on sort de l'aéroport, pédalant entre mille voitures et scooters vers le centre turbulent de la capitale. Si les règles de conduite en Thaïlande sont assez théoriques, le chaos urbain se passe étonnamment dans le calme et sans klaxon.

Moins d'une journée et quelques longues heures d'attente seront nécessaires pour obtenir le visa Birman. Cette nuit, je prendrai le train pour Ayutthaya afin de m'épargner une nouvelle traversée inutile de Bangkok. A la lueur du jour, les stupas de l'ancienne capitale du royaume Thaï paraissent d'un calme absolu qu'il est agréable de traverser à vélo. Néanmoins, je suis assez déçu par ces ruines sans grand cachet et je me dirige rapidement vers le nord.
Le long d'interminables autoroutes rectilignes et encombrées, je agrippe somnolent durant plusieurs dizaines de kilomètres à des camions. Dans un rythme monotone, j'effectue plus de 170 km par jour. C'est peu en comparaison avec Kham, qui file à Chiang Mai depuis Bangkok en trois jours, soit une moyenne de 250 km par jour.
- « C'est pour faire un marathon là bas. Mais je me laisserai quand même un jour de repos à Chiang Mai... »

Les ultimes kilomètres avant la frontière sont vallonnés et la chaleur y devient étouffante. Je m'accroche encore à des camions progressant au ralentis dans des montées aux pourcentages sévères.
Une voiture s'arrête. Yun, passionné de cyclotourisme - il possède 4 vélos et voyage régulièrement avec - m'invite chez lui. J'arrive à Mae Sot. Demain, je serai en Birmanie.

Myanmar (Yangoon - Etat Kayah - lac Inle)

De l'autre côté du pont

Adossé à la ville de Mae Sot, un pont enjambe la rivière Mae Nam Oi, qui s'étend tel un rideau de fer le long d'une frontière qui ne porte que rarement aussi bien son nom. De l'autre côté, la Birmanie, pays dont le nom semble nimbé de mystères fascinant depuis longtemps les imaginaires des voyageurs occidentaux.
Rejetant vigoureusement son passé colonial, la dictature militaire a refermé le pays sur lui-même durant près de 40 ans. Jusqu'au début des années 1990, la Birmanie et ses innombrables merveilles sont restés à l'abri des regards occidentaux. Cela explique notamment aujourd'hui son attrait parmi les touristes venant visiter - de manière exponentielle - cet ancien joyau de l'empire britannique qui s'ouvre peu à peu. Les capitaux étrangers sont en effets essentiels à la survie d'un pays devenu à la fin des années 1980 l'un des plus pauvres de la planète.

Aussi l'arrivée en Birmanie, devenu désormais Myanmar, s'apparente-t-elle encore à un véritable voyage dans le temps.
Depuis l'ouverture de la frontière il y a plus d'un an, la région voit affluer chaque jour son lot de cyclo-voyageurs, contraint d'emprunter la seule route entièrement ouverte reliant Yangon et le reste des pays d'Asie du Sud-est. Trois jours durant, je partage mon chemin avec Jan et Franziska, un jeune couple d'allemands qui verront défiler les multiples visages de l'Asie, du Cambodge au Moyen-orient.

Les premiers kilomètres cahotants zigzaguent dans les montagnes à travers une mince bande asphaltée vertigineuse et encombrée, où la circulation est alternée d'une journée à l'autre. Dans la descente, je peine à me frayer un chemin au milieu de l'enfilade de camions, de scooters et de voitures.
Parmi les paillotes et les villages en bambou, de nombreuses échoppes permettent de restaurer le visiteur. Ici, les currys gras mais parfumés et les samoussas pimentés rivalisent de saveurs.
Entre deux checkposts, des femmes s'improvisent en vendeurs ambulants, le visage enduit de pâte de thanaka, protection efficace contre le soleil et dont les motifs témoignent d'une élégance raffinée.
Au loin ci et là se dresse une pagode resplendissante et scintillant sous un ciel sans nuage. Derrière chacune d'elles, un visage, un sourire laissant souvent apparaître les dents rougies par le bétel mâché à longueur de journée.
Dans cette province reculée et longtemps tenue à l'écart de toute présence étrangère, les Birmans semblent poussés par un élan spontané de curiosité que pas même la barrière de la langue ne vient altérer. Je suis ému par tant d'attentions et de bienveillance, et me sens déjà happé par ce pays si attachant.

La route redevient plane et rectiligne. Au loin d'impressionnantes montagnes karstiques aux silhouettes effilées nichent de nombreux monastères, lieux de quiétude et de pèlerinage et signes d'une ferveur religieuse encore vivace.

A l'ouest du fleuve Thanlwin, les villes animées de Thaton et de Kyaikto sont les dernières étapes avant d'effectuer les ultimes kilomètres ralliant Yangon dans un train chargé aussi bien de marchandises que de locaux. Les wagons exsangues sautillent et se tordent à gauche puis à droite sur cette ligne antique et bosselée héritée de l'Empire colonial britannique.

Le gardien de Yangoon

A défaut de ne plus en être la capitale, Yangon est la ville la plus grande et la plus moderne de Birmanie. La vieille ville surpeuplée présente toutefois un visage bien différent. Bien qu'elles ne laissent peu à peu la place à des barres d'immeubles chinois, les façades coloniales patinées au charme délabré transportent le visiteur dans un autre temps.
Au delà des marchés et des cuisines de rue se dresse majestueusement la pagode dorée de Shwedagon, emblème du pays dans lequel affluent aussi bien touristes que pèlerins. En dominant l'horizon, elle fait le lien entre les multiples facettes d'une ville tumultueuse dans laquelle je ne m'attarderai pourtant pas. En cette nuit de Nöel, je prends une nouvelle fois le train pour m'échapper un peu plus vers le Nord.

Le tournoi de football

Pour rejoindre l'Etat Kayah, petite province retirée au centre-est du pays, la route serpentant dans les montagnes est si vallonnée qu'elle paraît escalader les plus hauts sommets pour redescendre dans les plus encaissées des vallées. Sur plus de 150 km, les montées seront incessantes et les pourcentages élevés.
Un policier nonchalant contrôle mon passeport. Son visage figé contraste avec les sourires des locaux. Me suis-je engouffré sur une route interdite aux étrangers (il y en a encore beaucoup au Myanmar)? Le policier n'en sais probablement rien, pas plus d'ailleurs que les militaires du premier checkpost que j'ai traversé furtivement à 3h du matin, sous le ronflement bruyant des officiers. Dans ces contrées isolées, mieux vaut-il être discret avec les autorités.

La petite route se dégrade et se transforme en une piste caillouteuse et cahotante que seuls quelques rares scooters parviennent à emprunter. Je pousse régulièrement ma monture. Dans une jungle qui s'épaissit surgissent de temps à autres les clochers des églises.
En ce jour de Nöel, je traverse une région entièrement chrétienne, où les sermons des moines laissent entièrement place à la douceur des prières chantées en coeur par les enfants et qui s'élèvent au loin, le soleil couchant sur les montagnes embrumées. Un instant, je me crois revivre mon voyage au Congo.
Partout où je passe, l'on m'invite à manger ou à dormir dans ces nombreuses maisons de teck ou de bambou, dont l'intérieur est systématiquement orné d'un portrait du Christ. Dans ces contrées reculées et probablement interdites, les populations locales montrent beaucoup d'intérêt et de curiosité pour les rares les voyageurs occidentaux alors récompensés par un accueil sans pareil.
Ici, ni eau courante, ni électricité. Mais les villageois se réunissent et mettent en commun leur richesse : un panneau solaire ou encore un générateur d'eau potable.

Au terme d'une ultime ascension parmi les rizières asséchées, j'atteins une région de hauts-plateaux pour rejoindre la ville de Loikaw non sans faire un petit détour dans les villages Padaungs.
Cette ethnie appartenant au sous groupe Karen des Kayan est connue pour leur « femme-girafe ».
Dès l'âge de cinq ans, une spirale de laiton est posée sur le cou des jeunes filles, étirant la musculature de la nuque vers le bas et donnant l'impression d'un cou plus long. Plus encore que les Masaïs au Kenya ou les Pygmées en RD Congo, leur petit nombre n'est en rien proportionnel à leur célébrité.
Les femmes Padaungs sont aujourd'hui très recherchées - et notamment en Thailande, pays où elles ont émigrés pour des raisons politiques - par les touristes et les photographes. Mais seule une petite partie d'entre eux font le chemin jusque dans l'Etat Kayah, berceau de cette ethnie atypique.
Pour ma part, je n'ose multiplier les clichés, par pudeur mais aussi par respect pour ces populations qui dépendent de plus en plus des visiteurs qui viennent les photographier. Dans un pays en explosion touristique, l'enjeu principal de ces prochaines années sera pour elles de concilier ces nouvelles sources de revenus tout en préservant leur intimité.

« Tu veux venir voir le tournoi de football ? » Il est midi, et je m'arrête une énième fois dans une échoppe pour siroter un thé au lait ou autre boisson énergisante. La petite ville de Sykaw est déserte. Nan Mu Nan, enfile le turban traditionnelle Pa'o - une serviette éponge chinoise de couleur verte - , monte sur sa moto-scooter, et me fait signe de la suivre.
Je ne suis pas particulièrement passionné par ce sport mais néanmoins curieux d'assister à un spectacle bien singulier.
La compétition regroupe la ville et les alentours. Parmi les vendeurs à la sauvette et les gargotes provisoires, des hommes, des militaires, mais aussi des moines bouddhistes et des femmes Pa'os portant leur enfant sur le dos assistent avec ferveur à des matchs disputés.
L'équipe jaune a gagné. Mais pour moi, l'essentiel est ailleurs: je me sens happé, envoûté par cette marée de supporters multicolore. Sous mes yeux ébahis c'est toute l'Asie de Kipling, envoûtante, colorée et rutilante, qui prend vie.
Nan Mu Nan m'invite à dormir. La nuit tombe. Un 4x4 se gare devant la maison. Les sourires se figent, et peine à dévoiler notre inquiétude. Deux policiers entrent et me font signe de les suivre au commissariat. En Birmanie, il est interdit de dormir chez l'habitant.

Rouges Pa'os

Nouveau contrôle de passeport : les deux policiers se montrent rassurant. Je dormirai ce soir dans ce « commissariat », maison habitée par toute leur famille respective (mère, femme, enfants). Pourtant, je ne peux m'empêcher de songer de ce qu'il pourrait advenir à Nan Mu Nan. Car derrière les sourires de façade, elle risque la prison.
Le lendemain, je retourne chez elle. Nan me fait signe que tout ira bien et me donne de nouveaux présents - des boissons énergisantes - que je n'ai pas mérité.

A quelques kilomètres se dressent les pagodes de Kakku, verticales et alignées comme les sarisses d'une armée de phalanges macédoniennes. Cet impressionnant champs de pagodes aux motifs raffinés forme un labyrinthe dense dans lequel pénètrent de nombreux touristes birmans comme étrangers.
La route s'élève jusqu'à la la ville animée et poussiéreuse de Taunggyi, perchée à plus de 1400m d'altitude, puis redescend vers le lac Inle. Sur ses berges marécageuses, la ville de Nyaungshwe rassemble touristes de toutes nationalités, dont l'unique but est de naviguer le long des jardins flottants du lac pour apercevoir ces pêcheurs équilibristes ramant d'une seule jambe.
Pourtant, le bateau ne m'intéresse guère, et je lui préfère la dégustation d'un vin local que je vois là un bon moyen de célébrer la nouvelle année qui s'annonce.

Sur la route plane longeant à bonne distance le lac Inle affluent les touristes, cyclistes d'un jour, rejoignant parfois les pagodes restaurées d'Indein.
Je m'éloigne des foules et m'élève sur un plateau, belvédère du lac Inle. Je croise parfois des trekkeurs marchant en groupe resserrés sur une route en construction. Tous dorment au même village, dans le même monastère imposant en bois de teck.
En m'y enfonçant plus profondément, je traverse les terres Pa'os, rouges comme la couleur de leur turban ainsi que du piment qu'ils font sécher sous un soleil ardent. Entre les rizières et les champs, le bambou des façades des maisons traditionnelles laisse place peu à peu à la brique.
Sur ce relief vallonné, un réseau émaillé de pistes de terre aux pentes sèches permet de rejoindre la paisible ville d'altitude de Kalaw. A la tombée de la nuit, la fraîcheur y est bienvenue.

Myanmar (Bagan - Mandalay - Triangle d'Or)

Jusqu'au bout de l'horizon

La descente serpente vertigineusement à flanc de montagnes durant plusieurs dizaines de kilomètres. Je passe d'une végétation semi-tropicale à une plaine aride, sorte de savane dont le soleil couchant semble se confondre avec l'horizon.
Sous une chaleur étouffante, j'escalade les pentes abruptes du Mont Popa, monastère posé sur un impressionnant piton rocheux. Bagan n'est distante plus que d'une cinquantaine de kilomètres.

Sur les quelques 2000 pagodes composant l'ancienne capitale millénaire de Birmanie, quelques unes seulement s'élèvent sur plusieurs étages et offrent un panorama à 360 degrés sur le site le plus incroyable que j'ai jamais visité.
Les pagodes semblent s'étendre jusqu au bout de l'horizon, embrasées par les lumières rasantes de la fin de la journée, avant qu'elles ne se confondent avec la brumes de ces plaines de l'Irrawady. Je reste sans voix. Il n'y a pas vraiment de mot pour décrire la magie, la grandeur et la féerie de ce site. Et je reste là, à contempler ce spectacle permanent dans l'intimité et le silence le plus total, seul, loin de la bousculade des 2 ou 3 pagodes « coucher du soleil » les plus célèbres.
L'occasion est trop belle. Cette nuit, je dormirai au sommet de cette pagode. Je n'aurai qu'à ouvrir l'oeil et la fenêtre de ma tente pour assister à un lever de soleil non moins hypnotisant.

Sillonner en vélo les pistes de Bagan était un rêve depuis plusieurs années. Durant trois jours, je profiterai de chaque seconde, jonglant de pagodes en pagodes en me frayant un chemin parmi les quelques chariots à boeufs transportant les paysans dans leur champ et qui ajoutent au site un aspect bucolique. J'attacherai cependant moins d'importance aux couchers et aux levers de soleil suivant : je veux croire croire et conserver ce souvenir unique de ma première nuit à Bagan.

Dans un coude de l'Irrawady

En franchissant une première fois l'Irrawady, j'entame la dernière ligne droite avant Mandalay. Je me perds sur des routes secondaires et effectue un détour de quelques dizaines de kilomètres pour visiter les grottes surprenantes de Hpo Win Htaung et leur peintures murales XVIIIe siècle.
Dans cette plaine fertile, à l'approche de l'ancienne capitale, le trafic devient plus important. A quelques encablures de Mandalay, un dernier bivouac, ultime moment d'intimité avant de traverser la ville bruyante et animée qui constituait à l'origine le point final de mon voyage.

« A Moulmein près de la vieille pagode, regardant nonchalamment la mer,
Est assise une jeune Birmane et je sais qu'elle pense à moi ;
Car il y a du vent dans les palmiers et les clochettes du temple disent :
'Reviens-t-en, soldat Britannique ; reviens-t-en à Mandalay !'
Reviens-t-en à Mandalay où la vieille flottille est en panne :
N'entends-tu pas le travail des aubes de Rangoon à Mandalay ?
Sur la route de Mandalay où jouent les poissons volants,
Et l'aurore se lève comme l'orage en Chine, de l'autre côté de la Baie ! »

Au coeur du Myanmar, dans un coude de l'Irrawady, s'étend Mandalay, dernière ville royale et considérée comme le haut lieu de la culture birmane. Je ne pouvais pas rallier cette ville légendaire sans penser au poème de Kipling.
Mais celui-ci n'emprunta jamais la fameuse « route de Mandalay ». Si bien que je traverse une ville poussiéreuse aux avenues rectilignes et au trafic hétéroclite regroupant motos, voitures, mais aussi calèches et même troupeaux de moutons (!).
Mandalay offre deux visages : celui d'une ville romantique où abondent monastères, moines et artisans et celui d'une ville affairée en passe de devenir une capitale économique moderne et sans attrait. Je n'y resterai que moins d'une journée : en l'espace de quelques heures, je rejoindrai en avion l'Est du pays. De la route de Mandalay succède celle de l'opium, là où la Birmanie de George Orwell supplante celle de Kipling.

La route de l'opium

Seule une douzaine de personnes se répartissent dans l'avion qui me mène à Tachileik. Je compte faire un aller-retour dans une région reculée de l'Etat Shan.
Ici, aux confins de la Birmanie, la police semble plus vigilante. La plupart des routes sont encore en partie fermées pour les occidentaux. Au premier checkpost, on m'oblige à prendre le bus pour Kengtung. Cette nuit, alertée par les villageois, la police me cherchera même jusque dans ma tente. Heureusement, ces derniers se montreront étonnamment bienveillant et me ramèneront à l'hôtel à dos de leur pick-up. Une grande partie des militaires et des policiers (de manière générale les moins gradés, issus des ethnies locales) ne sont souvent pas au courant des interdits pour les étrangers.
La gérante de l'hôtel m'oblige à suivre son employé pour aller au poste d'immigration, et me laisse le choix de prendre un guide à la journée pour visiter les villages alentours ou de réserver un billet de bus pour revenir à Tachileik. Je me sens surveillé et ne peux rien faire seul.
Je dois user de finesse pour me libérer finalement de mes geôliers. Je n'ai ni envie de revenir au point de départ, ni envie de prendre un guide, ni moins encore de passer une nouvelle nuit dans la guesthouse onéreuse et froide de Kengtung.

- « Si je comprends, j'ai le droit de circuler dans la ville, mais pas d'en sortir de mes propres moyens.
- C'est ça.
- Je crois que je vais faire rebrousse-chemin... Vous savez s'il y a des vols aujourd'hui pour Mandalay ? L'aéroport est à proximité ? Je peux m'y rendre à vélo ?
- Oui, tu peux t'y rendre, mais tu ne pourras pas aller au delà. »

Je suis libre de toute surveillance. J'ai pris auparavant soin d'enregistrer de précieuses données sur mon ordinateur des pistes visualisables sur Google Earth. Aussi dois-je emprunter des chemins dérobés pour rallier les petits villages alentours aux ethnies multicolores au coeur du Triangle d'Or. Kengtung est en effet la capitale de cette région considérée comme l'un des berceaux mondiaux de la production et du trafic d'opium depuis le début du XX° siècle.
A pied ou en vélo, je parcours ces villages paisibles peuplés d'Akhas chrétiens restés fidèles à leur coiffe ornée d'argent ou encore d'Anns animistes aux costumes aussi sombres que la teinture noire de leur dents. Ici, dans cette province aussi retirée, l'ouverture au tourisme semble balbutiante.

A l'approche des grandes villes - Kengtung et Tachileik - je bifurque sur des routes secondaires ou coupe à travers rizières à l'abri des grands checkposts et des regards des officiers birmans.
Les échanges avec la Thailande paraissent rythmer le quotidien des villes et des villages au fur et à mesure de mon avancée vers la frontière. Je sirote un ultime thé au lait avant de traverser le pont. De l'autre côté, la vie poursuit un cours différent. En Thaïlande abondent de nouveau les centres commerciaux et les autoroutes longilignes.
La ville paisible de Chiang Rai sera ma dernière étape pour découvrir l'éventail de saveurs culinaires de ce pays avant de prendre le bus pour Bangkok.
Happé jusqu'au bout, étirant mon voyage jusqu'au dernier jour de mon visa, j'ai consacré au Myanmar l'amour et l'égard qu'elle mérite. La Birmanie reste un pays dans lequel l'Asie de Kipling reste encore bien vivante, mais pour combien de temps encore...

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