Du Bosphore au Caucase - Turquie/Géorgie (2009) - Les voyages du Ptit Malet
Du Bosphore au Caucase
Turquie/Géorgie - 2009
Moyen-orient
Du Bosphore au Caucase
Juin - juillet 2009

Introduction

Lors de ma traversée européenne, l'idée de rejoindre la Turquie m'avait déjà effleuré l'esprit. L'année suivante, je me lance dans l'aventure au carrefour de deux continent en compagnie de mon cousin. Loin des régions les plus touristiques, mon regard s'est tourné vers les hautes montagnes verdoyantes et dépaysantes de la mer Noire, la plus belle région de Turquie selon moi. Le détour en Géorgie était trop tentant pour que j'évite ce pays à la culture atypique et au peuple bon vivant, regorgeant de monastères et de paysages scéniques sur le toit du Caucase.
L'accueil extraordinaire sera l'un des révélateurs à l'entame d'une passion pour le Moyen-orient.

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Distance
3 850 km
Durée
42 jours
Point culminant
3 170 m
% de pistes
14 %
La carte du voyage
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Turquie (mer Noire)

Cay, çay, çay!

Nos vélos sont emballés et nos matelas auto-gonflants dépliés dans un coin de l'aéroport de Milan.
Cyril (mon cousin) et moi sommes prêts à embarquer le lendemain matin pour Sofia.
La capitale bulgare est aussi triste que je l'avais laissée l'an dernier. Elle ne constitue qu'une simple escale pour Istanbul que nous rallions en train, les vélos démontés et tassés dans notre petit compartiment afin de ne pas payer de supplément.

Le Bosphore, détroit légendaire et historique à la croisée des peuples, des chemins et des continents. Il n'y a pas de plus bel endroit pour commencer un voyage.
Traverser une ville de 15-20 millions d'habitants s'avère long et fastidieux, malgré un bon nombre de pistes cyclables sur les premiers kilomètres. Il commence à faire chaud.

Petite pause à l'ombre dans une station-service : les gérants nous offrent généreusement le thé turc, ou le çay (prononcer « tchaï »). Le début d'une longue série d'invitations à boire le thé. Dans un pays où le litre d'essence est plus cher qu'en France, les stations services abondent. Chacune d'elles seront l'occasion d'une escale, d'un arrêt afin de siroter l'incontournable thé et de d'apprécier la formidable hospitalité turque.

En l'espace de deux jours, nous atteignons la mer Noire. La route vallonnée et pentue serpente entre la côte et les noisetiers. Après une nuit passée sur ses rivages, nous quittons la côte pour une route étroite, sinueuse, et très vallonnée durant près de 40 km. Cyril arrive quelques minutes après moi au sommet du col. Sa roue est plus tordue que voilée. Une fourgonnette l'a percuté et a roulé sur son vélo.
La prochaine ville se situe à une dizaine de kilomètres descendants. Un jeune turc nous amène dans un petit garage de réparation de vélo. En quelques minutes, la roue est réparée. Notre voyage se poursuit.

Sur le fil

La vallée se mue en gorges étroites entrecoupée par une succession de tunnels. Nous arrivons à Safranbolu sous une chaleur intense. Safranbolu porte le nom de cette fameuse épice qui fît sa gloire passée. De cette époque, elle n'a conservé que ses maisons ottomanes qui sont un motif à son inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1994.

Cette nuit, je suis malade. Mes maux de ventre sont si fort que je n'ai pas fermé l'oeil.
Je m'arrête dans la première station service dans laquelle l'on me propose des médicaments inefficaces. Vidé de mes forces, je mets près de trois heures pour effectuer 45km. L'orage gronde au loin et un chauffeur de camion s'arrête, probablement par compassion. Je suis stoppé depuis plusieurs minutes sur le bord de la route, la tête plongée dans mon guidon.
Je reprends ma route pour Boyabat où j'espère trouver des médicaments plus efficaces.

Sous le son retentissant des sirènes, je déboule dans les rues de Boyabat assis à l'arrière d'une ambulance que le patron de l'une des stations services aux abords de la ville a appelé.
J'arrive à l'hôpital en tenue de cycliste, mais sans mon vélo laissé dans la station-service. Les infirmiers me soignent, puis me proposent du thé et me questionnent sur mon parcours. Cemal est déjà venu me chercher. Le propriétaire de la station m'offre à manger puis me propose de dormir dans la benne d'un camion. Entre temps, j'ai perdu la trace de Cyril.

Au détour d'une halte champêtre, les automobilistes se succèdent et m'offrent pastèques, cerises, ou encore abricots. Cyril est parvenu à me rejoindre et nous poursuivons ensemble sur une route se transformant en véritable marécage de goudron fondu par 40°C à l'ombre et sur lequel nos pneus avancent péniblement.
Au loin, Samsun se rapproche et avec elle à nouveau, les rivages de la mer Noire. Cyril a pris de l'avance, mais épuisé, son voyage se termine bientôt.

Un cycliste VS plusieurs dizaines de stations-service

Pour rejoindre Trabzon, la large 2x2 voies est majoritairement plate et coupe entre la côte agitée et les montagnes verdoyantes. Les villes bétonnées se succèdent dans ces paysages subtropicaux. La côte de la mer Noire révèle là une facette bien différente de la Turquie.
Chaque après-midi, le temps devient orageux et je trouve souvent refuge dans l'une des nombreuses stations services. Dans l'une d'elles, Cem, Mehmet et tous les employés m'accueillent bras ouverts. Deux ans plus tard, alors que je faisais ma demande de visa iranienne au consulat de Trabzon, je repasserai dans ces lieu. Dès le premier regard, tous se souviendront de notre rencontre.

Je passe rapidement dans Trabzon ultimes vestiges de l'empire byzantin, tombé aux mains des Ottomans huit ans après la chute de Constantinople en 1453. A nouveau, je quitte la mer Noire et me dirige dans les montagnes si verdoyantes.

Le monastère de Sumela est niché parmi une forêt de sapins au coeur d'impressionnantes falaises. Il marque le début de plusieurs kilomètres de pistes dans la chaîne du Karadeniz Daglari.

Entre pluie et ciel bleu

La piste caillouteuse s'améliore au fur et à mesure de la montée, zigzaguant entre forêt, ruisseaux ruisseaux tumultueux et prairies verdoyantes. A plus de 2000m d'altitude s'étendent de vastes steppes montagneuses et aussi paisibles que dépaysantes émaillées par un vaste réseau de pistes sur lesquelles il est aisé de perdre son chemin. Le temps se couvre et je franchis une succession de cols à 2200-2700m dans un épais brouillard. Souvent, on m'invite à manger, ou encore à savourer le miel délicieux de la région.
Avant de basculer sur l'autre versant du massif, un dernier col retient les nuages. Les paysages sont plus arides. Le soleil se couche et colore les gorges dans lesquelles l'étroite descente se faufile.
Je rejoins une route principale et passe devant un chantier. Des ouvriers me font signe de rentrer dans un bâtiment préfabriqué pour y prendre le thé. « Trabsonspor Sampiyon! » Comme souvent en Turquie, la discussion aborde souvent le sujet du football. Ici, la ferveur populaire soutient le club de Trabzon.
Cette nuit, je dormirai à l'abri du vent.

Je me remets en selle, triste de devoir quitter si vite Özgür et Cemil et rejoins rapidement Bayburt surmontée par sa splendide forteresse seldjoukide. Je bifurque à droite, sur une petite route peu fréquentée. Cette nuit, je suis encore invité dans la mairie d'un petit village, envoûté par cette hospitalité turque si bienveillante.
Entre montagnes grandioses et dépaysantes et petites rivières, je m'enfonce dans une vallée sans l'ombre d'un véhicule. J'atteins Ispir qui est l'occasion d'effectuer un nouveau détour dans le Karadeniz Daglari et ses paysages verdoyants. Au bout d'une longue montée dans une piste caillouteuse et pentue, j'atteins pour la première fois de ma vie la barre des 3000m. En contrebas, le spectacle des Yedi Göller (Sept Lacs) représente à lui seul la magie de ce si beau massif.
Au terme d'une longue et vertigineuse descente, je retourne dans la vallée que j'ai laissé la veille. La chaleur s'amplifie au fil des kilomètres.
L'étroite bande asphaltée en travaux longe des gorges arides et majestueuses. Je suis encore souvent invité à manger ou à boire le thé. Progressivement, je descends à nouveau sur les rives de la mer Noire. Au loin dans la nuit, les lumières du poste frontière : « Bienvenue en Géorgie ». Il est 23 heures. Le douanier m'accueille sur ces mots en français.

Géorgie

Accueil, vodka, escortes

L'Adjarie. Cette ancienne République bananière ramenée sous le giron géorgien dans le courant des années 2000 est une vaste plaine au climat subtropical, aux plantations de thé et aux plages désertes. Elle ne constitue pourtant qu'une simple étape avant de franchir le Caucase.
« Maladiet ! Maladiet » Au bord de la route, beaucoup me félicitent ou m'accueillent à manger, à boire ou a dormir. Je trouve en Géorgie une hospitalité chaleureuse et bon vivante. Il ne se passe pas une journée sans que je sois invité à manger, à dormir, ou à boire de la vodka en quantité... Ce soir je trouverai refuge dans les vestiaires du stade de football de Zugdidi, ville de plus de 50 000 habitants. Face à moi, la chaîne du Grand Caucase se dévoile enfin.

« C'était un Géorgien: c'était un homme de la plaine » (Alexandre Dumas). Cette citation du fils du célèbre écrivain français ayant voyagé longuement en Géorgie au XIXe siècle, peut paraître paradoxale pour un pays entouré de montagnes.
Pourtant, la Géorgie est un pays aux multiples facettes, composé d'une mosaïque ethnique : les Adjares côtoient les Abkhazes ou encore les Ossètes ou les Svanes, chacun ayant leur propre dialecte, leur propre mode de vie. J'entre dans le territoire de ces derniers. Les mots du Petit Futé ne se veulent pas rassurants : « Peuple bandit, les svanes ont la réputation de n'obéir qu'à leurs propres lois ancestrales et de tendre à détrousser l'étranger qui pénétrerait sur ses terres...Un peuple dur, aux traditions violentes et impitoyables, que même la collectivisation n'a pas délogée. » . Pourtant, j'y trouverai un accueil remarquable. Sur la route qui me mène à Mestia, je suis constamment invité : par des apiculteurs bienveillants qui m'accueillent sous le son de leur chant traditionnel à partager leur miel et leur vodka ou encore par de nombreux automobilistes qui me tendent à nouveau de la vodka. C'est celle la même qui adoucira les nids de poule d'une piste de plus en plus difficile. Zviadi, étudiant en économie à Tbilissi et en vacances chez ses parents ramène son petit troupeau de vaches à la bergerie. L'hospitalité de sa famille me touche. Je suis encore invité à dormir et ne peux m'empêcher de maudire les lignes écrites dans le Petit Futé.

Les nuages recouvrent les majestueuses cimes culminants à plus de 4500m d'altitude. Au loin, les tours défensives de Mestia protègent depuis près de neuf siècles ce petit bourg isolée au fond d'une vallée encaissée. Après plusieurs passages de gués, je poursuis vers le village médiéval d'Ushguli dont les 35 tours sont surmontées majestueusement par les 5200m du mont Shkhara. Encore coupé du monde en ce début de XXIe siècle, le lieu est d'une beauté enchanteresse et un court moment de répit dans ces pistes rendues difficile par la pluie des jours précédents.
Après avoir franchi un col à plus de 2600m dans des paysages fabuleux entourés de montagnes aux neiges éternelles, j'entame une longue descente dans une piste boueuse et parfois très ravinée.

La piste s'améliore après Lentekhi avant de laisser place à une route en mauvais état. Un pick-up s'arrête. Deux policiers proposent de m'amener à Tsageri, située à 1km, et m'invitent à dormir au commissariat, dans une petite chambre réservée aux officiers.

La vallée encaissée s'ouvre sur une vaste plaine. Alors que je suis à nouveau invité à boire 6 ou 7 verres de vin (local), un touriste s'arrête et gare son vélo à côté de la maison.
Uli est bavarois. Il est en vélo couché, et je comprends vite qu'il s'agissait de la trace de ses pneus que j'avais pu voir les jours précédents. La cinquantaine, ce cycliste accompli est parti de chez lui pour rejoindre l'Inde, en novembre.
Ensemble, nous nous dirigeons vers Koutaissi sur une route/piste vallonnée et sous une forte chaleur. La police nous escorte jusqu'à la gare, où nous attendons le train de nuit, qui mettra près de 6 heures pour effectuer 200km.

Un aller...retour?

Le train s'arrête moins d'une minute. Nous nous dépêchons de sortir sous les « davei » du contrôleur. Il est 5h30. Je compte retourner dans le Grand Caucase, par un aller-retour sur la route militaire menant à la frontière russe (fermée).
Uli prend la direction de Tbilissi, puis l'Azerbaïdjan, l'Iran. Nos routes se séparent. En allemand, il me lance avec humour: « Désormais, la police a du souci à se faire, car elle devra escorter 2 personnes. Ca leur demandera plus de travail »

J'arrive rapidement au complexe d'Ananuri, deux monastères fortifiés datant du XVIe et du XVIIe siècle.
Les averses parsèment ma route. Accroché à de vieux camions soviétiques, je franchis le Jvari pass et ses quelques 2300 mètres, qui est le point culminant de la Military Road. La route en mauvais état laisse place à un asphalte tout neuf, filant dans une vallée dégagée. Au loin, la frontière russe se rapproche. Je ne l'atteindrai pas, préférant bifurquer sur une petite piste boueuse jusqu'au monastère de Guerguéti.

Ce petit monastère d'une quiétude envoûtante se niche sur un tumulus au pied du volcan Kazbek et est littéralement entouré par les montagnes verdoyantes du Caucase. J'y rencontre l'ambassadeur de France en Géorgie qui vient de finir une randonnée au mont Kazbek, ce volcan mythique situé à 5000m d'altitude et au sommet duquel Prométhée fut enchaîné pour vivre son supplice éternel.
Désormais, je dois faire rebrousse-chemin. Une fourgonnette s'arrête. Makho m'emmène à Mtskhéta, que j'ai quitté la veille. Je quitte une fois pour toutes le grand Caucase.

Pistes et invitations

Mtskhéta est l'ancienne capitale du royaume de Kartlie-Ibérie (ancienne Géorgie), aux IIIe et IV siècle. C'est dans cette petite ville que Sainte Nino a su convaincre la famille royale de se convertir au christianisme. La Géorgie devenait le second royaume (après l'Arménie) à adopter officiellement cette religion, permettant ainsi au roi de Kartlie de s'assurer le soutien de la riche communauté de chrétiens de l'Empire romain.
De son riche passé, elle a su conserver d'imposantes églises qui abritent encore les dépouilles de plusieurs rois géorgiens.

Tbilissi n'est situé qu'à une bonne dizaines de kilomètres. Giorgi, 15ans, est un vététiste qui, dans un allemand excellent, sera mon guide dans la capitale : église Métékhi, Sambeba, vieux Tbilissi, place des bains aux faïences persanes. Je visite une ville agréable et aux multiples visages.
Plus loin, je croise la route de deux nouveaux cyclistes : Giga et Irakli. Ce dernier m'invite passer deux nuits chez lui et sa famille à Roustavi. Mes repas sont de véritables festins constitués de plats aux noms imprononçables et qui constituent autant de découvertes de la diversité de la cuisine géorgienne
Le lendemain, Irakli, Giga, et moi irons ensemble au monastère de David Garedja, coupé du monde sur une piste caillouteuse, terreuse, puis sablonneuse dans un steppe désertique à quelques mètres à peine de la frontière azérie. Le monastère troglodyte est fondé au VIe siècle par l'un des 13 pères syriens, David, qui lui a donné son nom.

Trois jours durant, chaque invitation à boire, à manger, ou à dormir se succédera par une autre. Le vin que l'on me donne à chaque rencontre se substitue à l'eau dans mes sacoches.
La nuit tombe. Une lada s'arrête. Un homme en descend, et me propose de m'inviter cher lui, à 15km. Je mets le vélo dans sa petite voiture, qui zigzague à 15km/h pour en éviter les plus gros nids de poules de cette route qui paraît abandonnée. Dans cette vallée à l'écart des grandes voies, les touristes sont peu nombreux et à chaque fois accueillis par la mosaïque de peuples vivant dans la région : azéris, greco-arméniens, svanes et bien sûr géorgiens.
Cette nuit, je suis invité par une famille d'azéris musulmans peu aisés, qui ne possèdent ni électricité ni eau courante mais un bon stock de vodka. Le lendemain, je n'effectuerai qu'une quinzaine de kilomètres, arrêté dans un petit village voisin par un policier pour m'inviter à dormir au commissariat. Ma venue a alerté le village et tout le monde souhaite m'inviter à manger et à dormir.
Pour ne vexer personne, je choisis de boire un café chez un greco-arménien, avant de manger chez Nino, qui parle français, et me propose de m'inviter à la soupra (repas gargantuesque typiquement géorgien). Chacun à notre tour, nous prononçons de long discours en guise de toast : l'un va en l'honneur de la famille, des ancêtres, l'autre des traditions, des morts à la guerre. Puis, sans regarder le contenu (vin, vodka), nous buvons cul-sec.

Les montées et les descentes se succèdent dans des pistes boueuses et caillouteuses. Dans ces steppes d'altitude, je fais un détour afin de rejoindre Tabatskuri et son lac paisible entouré de plusieurs volcans éteins.
Au bout d'un vaste plateau, la piste descend vertigineusement dans un profond canyon. En face de moi, sur l'autre versant se niche l'ancienne cité de Vardzia, creusée à même les flancs de la falaise. A la fin du XIIe siècle, la reine Tamar y fit établir un complexe monastique relié par un vaste réseau de tunnels et de passages souterrain habité par près de 50 000 personnes à son apogée.

La route asphaltée est en excellent état jusqu'à Akhaltsikhé.
Une Ford s'arrête. Giorgi et son cousin m'invitent à boire de la vodka (encore 4 verres), puis de la bière (1,5 litres). Puis Giorgi m'invite à dormir, vu que mon état ne peut pas me permettre de repartir. Ce soir, nous montons jusqu'à un observatoire avant de prendre un bain d'eau chaude (et à l'odeur de soufre) dans une station thermale qui n'a pas été restauré depuis l'époque soviétique.
C'est avec un nouveau litre de bière que se termine ma dernière journée géorgienne.

Turquie (Ararat - Van)

Grondé par l'orage sur les hauts plateaux

La frontière de Vale est située à environ 20 de montée sur une piste caillouteuse.
« Revenez en Géorgie! » me lance en français le douanier.

Devant moi, les 2550m de l'Ilgar Geçidi me promettent une longue montée. Parmi les montagnes arrondies et les hauts plateau se distinguent nettement les yourtes de bergers nomades. L'orage menace. Ce sera le cas chaque après-midi sur ces hauts plateaux situés à près de 2000m d'altitude. De jour comme de nuit, je trouve encore refuge dans les stations services. Après deux jours d'une route monotone se distingue nettement les neiges éternelles et les 5130m du mont Ararat volcan éteint et montagne la plus élevée de Turquie. C'est sur ses pentes que, selon la Bible, l'arche de Noé accosta après le déluge.

Perché sur les hauteurs de Dogubayazit, l'Isakpasha domine les hauts plateaux alentours. Cet ancien caravansérail rappelle la grandeur passée de la légendaire route de la Soie. Le site constitue un formidable endroit pour bivouaquer et se laisser bercer par la magie d'un Orient imaginaire.

Un lac? Une mer? Peut-être bien les deux.

« Kurdistan? C'est où le Kurdistan? Le Kurdistan, ça n'existe pas ». Lorsque nous évoquons notre parcours avec Cyril, cette réponse nous était souvent donnée, mettant en lumière le véritable dédain porté par une partie de la population turque envers un peuple dont ils ne reconnaissent pas l'identité culturelle et géographique. La raison est à chercher aux confins des siècles derniers. Elle est la révélatrice d'un « syndrome de Sèvre », lorsque l'Europe avait partagé l'Empire ottoman allié à l'Allemagne lors du premier conflit Mondial. Depuis lors, la Turquie kémaliste avait pris soin d'unifier son pays et de réprimer toute tentative de dissolution, qui a coûté si cher à l'ex Empire ottoman malade et mourant que l'Europe avait fini par achever. Cette crainte, cette peur est désormais gravée dans les moeurs dans une Turquie qui se proclame indivisible.

Dogubayazit marque l'entrée en « territoire » Kurde, ce « Kurdistan » tant redouté par les Turcs et auquel se proclament volontiers bon nombre personnes ici.
Les 2644 mètres du Tendurek Geçidi sont situés au milieu d'un paysage volcanique. D'anciennes couches de laves bordent de part et d'autre la longue route escarpée. Plusieurs checkposts entrecoupent une route monotone, le long de laquelle effleure les rives du lac de Van. Cet immense lac salé de plus de 120 kilomètres est le plus grand de Turquie et pourrait aussi bien s'agir d'une petite mer intérieure.
La ville d'Ercis est l'occasion d'une petite pause. Tous les regards se tournent vers mon vélo, puis sur moi. En quelques minutes, je me retrouve une glace à la main et un verre de thé dans l'autre. Chacun pose sa petite question. « Welcome to Kurdistan! » me lance-t-on chaleureusement. Halil, un étudiant en sciences politiques anglaise et en philosophie m'invite à dormir chez lui.

Un bref retour

Les paysages sont monotones. Je poursuis sur Tatvan, puis du Mus. Haliz, un ingénieur kurde, me propose de monter dans son 4x4 jusqu'à Varto, un petit village au Nord de Mus avant de m'inviter à manger. Le soir, alors que l'orage menace, Suleyman et ses parents m'offrent du thé, à manger,et m'invitent à dormir. On me propose de rester vivre ici. Mais je souhaite rejoindre Istanbul au plus vite.
Je mettrai trois jours pour rejoindre Ankara, distante de plus de 1400 kilomètres. Sur la route, de nombreux chauffeurs proposent de m'emmener. Cihat, Yasin, Hanofi ou encore Ismaïl se succèdent sans le savoir et m’amènent respectivement à Erzurum puis Erzincan, Sivas et enfin Ankara. C'est l'occasion pour moi de comprendre le quotidien le bonheur, les mésaventures de ces routiers aux remorques chargées de plusieurs tonnes de matériel.

La capitale turque est grouillante et encombrée. Au milieu de la foule, Okan et sa petite amie, Daria, m'invitent à dormir. Okan, professeur de mathématiques à l'université d'Ankara m'accompagne à la gare. Le train a 2h de retard, une broutille comparée aux 12 longues heures de trajet jusqu'à Istanbul.
Il est 5 heures du matin. Je déambule dans les rues d'Istanbul encore paisibles pour atteindre le quartier d'Eminönü. La Mosquée Bleue se dresse en face de Sainte Sophie, cette ancienne église byzantine construite au VIe siècle sous le règne de l'empereur Justinien. J'aurais l'occasion de visiter tous ces sites lors de mon séjour universitaire à Istanbul. Cette nuit, je me rentrerai Sofia en bus. Encore une fois, la capitale bulgare n'est qu'un transit avant mon retour en France. Mon voyage se termine. En route vers de nouvelles destinations...

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