Du Tian Shan au Cachemire: traversée de l'Himalaya (2010) - Les voyages du Ptit Malet
Du Tian Shan au Cachemire
Kirghizistan/Chine/Pakistan/Inde - 2010
Asie
Du Tian Shan au Cachemire
Août - septembre 2010

Introduction

Tian Shan, Karakorum, Cachemires...autant de noms qui représentaient pour moi un rêve de plusieurs années. Fort de mes expérience précédentes, je franchis le pas en 2010, à l'aube des mes 20 ans.
Le contexte n'est pas idéal : révolution et conflits inter-éthniques au Kirghizistan, inondations au Pakistan ou encore coulées de boue au Ladakh, autant d'obstacles qui rendront ce voyage d'autant plus marquant. Et les souvenirs qu'il m'évoque me plongent irrésistiblement à nouveau dans mon rêve...

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Distance
5 000 km
Durée
56 jours
Point culminant
5 360 m
% de pistes
15 %
La carte du voyage
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Kirghizistan

Du rêve au cauchemar

3 août, 12h30. Je pars enfin, après tant d'attentes et 10 mois de préparation pour ce rêve d'adolescent. Dans l'avion qui me mène a Bishkek, je suis partagé par un sentiment d'angoisse, d'excitation, et d'appréhension. Chaque minute marque l'avancée inévitable du compte à rebours avant le début d'un périple dont je commence à prendre le sens réel de son ampleur.

J'effectue une trentaine de kilomètres pour rejoindre la capitale triste et amorphe. Rien ne montre les traces des affrontements sanglants du mois d'avril voyant la déchéance de l'ancien (et futur) président Kourmanbek Bakiev. Je fais plusieurs fois le tour de la ville à la recherche de gaz pour mon réchaud sans succès. A Bishkek, peu de panneaux indiquent le nom de ces immenses boulevards perpendiculaires et je me perds rapidement.

La capitale s'éloigne. Je fais un détour vers l'un des rares monuments historiques du pays: un minaret construit au XI° siècle, dont la partie supérieure a été depuis détruite. Le gardien de Burana me montre un endroit pour planter ma tente derrière d'anciens tumulus. Mais l'homme me paraît étrange et je préfère camper plus loin.

Au loin, entre deux tchaïkhanas une, puis deux silhouettes se distinguent. Sawang et David sont tout comme moi des cyclo-voyageurs. Ce thaïlandais et ce canadien seront mes compagnons de fortune le temps d'une journée.
Nous campons après Balykchy, au bord du lac d'Issyk Kul, là où nos routes se sépareront demain.
22h. Une petite pluie commence à tomber. Par sécurité, je sors de ma tente pour mettre mon toit imperméable. Sans le savoir, je viens sans doute de sauver mon voyage.
Deux adolescents me réclament de l'argent. A gauche, mon vélo a disparu. Je somme l'un des deux compères de le récupérer. Après 15 longues minutes d'attente, mon vélo est de retour.
2h du matin. J'entends encore du bruit. Ce sont eux. Cette fois, ils sont quatre. L'un d'eux me met un couteau sous la gorge. En une fraction de seconde, je me défends et appelle mes compagnons. L'affrontement est inévitable. J'en saisi un par la gorge avant qu'un autre, plus costaud, ne me fasse tomber. Mes lunettes se perdent dans la nuit.
Nous parvenons à repousser nos assaillants et, avant qu'ils n'appellent encore des renforts, nous nous réfugions dans une station-service ouverte. J'ai perdu l'une de mes sacoches et avec elle la plupart de mes vêtements d'hiver. Mais je suis davantage dépité par la perte de mes lunettes. Sans elles, mon voyage est terminé. Sawang parvient à les retrouver : c'est probablement le meilleur instant de ma soirée.
« Fucking night » répète Sawang. L'agent de sécurité n'a pas tout compris à notre histoire. Il est vrai qu'elle est à dormir debout. D'ailleurs, nous restons debout, mais ne dormons pas.

Pour l'amour des Kirghizes

A l'aide d'un sac et de quelques cordes, je parviens à bricoler quelque chose afin de maintenir un équilibre précaire sur mon vélo. Je pense rejoindre Kashgar ainsi. La quinzaine de jours promet d'être inconfortable.
Dans la salle froide et austère du commissariat, les agents corrompus et peu compatissants tapent lentement sur leur machine désuète le détail de notre récit. « Reviens dans trois jours. Nous retrouverons ta sacoche ». Je reste perplexe.

Ces trois journées seront nécessaires pour me défaire de la mauvaise impression de ce début de voyage. Dans le village suivant, un père de famille, Alamat sort et m'incite à prendre le thé avant de m'inviter à dormir dans la maison familiale. Je fais la course à la nage contre deux de ses fils dans le lac Issyk Kul, le second plus grand lac d'altitude du monde après le Titicaca, avant de rentrer en cheval. Cette hospitalité et ce sens de l'accueil me touchent. Ce ne sera pas un cas unique.
Le lendemain, alors que la pluie s'abat, je suis une nouvelle fois invité à manger, puis à dormir par Asankadir et sa famille. Ici, les fermiers, nombreux, ne gagnent pas ou très peu d'argent et vivent essentiellement de leur production: abricots séchés, pommes, beurre, lait, kumys, pain, confiture, nouilles...
Asankadir me propose l'une de ses filles (19 ans) en mariage. C'est la seconde fois en moins de 24 heures et, à ce rythme, je songe presque louer un bus afin de pouvoir satisfaire l'ensemble de ces demandes.

Retour à Balakchy: la ville du cauchemar. La police n'a pas su (voulu) retrouver ma sacoche et mes affaires. Croyant devoir poursuivre mon chemin durant 15 jours avec un sac de marque ED (Dia) en guise de sacoche, je croise deux cyclistes. Elles sont Belges et ont fini leur voyage à vélo ici même. Griet et Gillis repartent demain en train pour Bishkek avant de prendre l'avion. Griet me prête sa sacoche afin que je puisse moi aussi finir mon voyage.

Douche froide. Piste: douche chaude.

La longue route menant jusqu'au lac Song Köl laisse entrevoir les magnifiques paysages du Kirghizistan, ses montagnes tantôt rouges arides, tantôt verdoyantes. Les paysages sont de plus en plus désertiques. Intersection: la route devient piste avec des passages plus pentus, jusqu'à atteindre un col à près de 3500m. Un homme m'invite dans sa yourte et me sert vodka, kumys (lait de jument fermenté, la boisson nationale) du plov (riz sauté avec carottes), et surtout du gras et des tripes de mouton bouilli. Je parcours à cheval les steppes infinies autour du lac. Retour à la yourte : l'une de mes sacoches a été ouverte. Je suis encore imbibé par la vodka et les tripes de moutons. Je m'apercevrai plus tard que je viens de me faire dérober près de 250 USD.
Le Song Köl réveille les premiers spectres de mon voyage. Il est aussi le lieu de scènes incroyables qui contrastent tant ces mésaventures. Au loin, les chevaux galopent dans la steppe, entre yourtes, lac et montagnes.
Je demande mon chemin. L'homme m'invite à manger, puis à dormir dans sa yourte avec l'ensemble de sa famille. Dois-je lui faire confiance? Paternaliste, le père de famille garde parfois un oeil sur mon vélo, notamment lorsque cinq hommes « vodkatisés » sont invités dans la yourte. Rien n'est plus marquant qu'une bouffée revigorante d'humanité et d'humanisme pour me réconcilier avec un pays qui me laissera des sentiments aussi mitigés qu'opposés.
Une longue descente vertigineuse me conduit jusqu'au fond d'une vallée. Sous une forte et lourde chaleur, j'avance péniblement sur la piste caillouteuse et défoncée pour rejoindre Kazarman, distante de 110km. Trois longs cols se succèdent. Des automobilistes s'arrêtent parfois et me donnent melons ou encore (surtout) vodka. Celle là même qui adoucit les rigueurs d'une piste bosselée et rugueuse.
La pluie a rendue la piste boueuse. Un ultime col à plus de 3000m d'altitude me permet de basculer dans la vallée du Ferghana. Après 500km de pistes, je retrouve enfin l'asphalte.

Aftandir tient un minuscule commerce. Il m'offre à boire, à manger. En m'invitant chez sa famille à dormir, je peux enfin prendre une douche.

Inquiétudes pour le Pakistan: le soleil voilé du Fergana.

Après les peines causées par des pistes longues et usantes et les mésaventures, cette hospitalité m'a beaucoup marqué. Rarement j'ai été aussi triste de devoir reprendre la route. Mais ici, une rencontre se substitue à une autre. A peine 10km de parcouru et une famille ouzbèke m'invite à boire le thé dans une maison pleine de charme.
Jalal Abad conserve les traces des affrontements inter-ethniques du mois de juin. Bon nombre de maisons ont été incendiées, pillées. Mais malgré les tensions, toujours apparentes, la ville reste assez calme. Je pourrais passer plusieurs jours dans cette vallée à l'équilibre pourtant si fragile tant les gestes d'accueil sont nombreux. Mais mon visa expire dans quelques jours.

A Uzgen, je rencontre Ircham, 22 ans, et son vélo à rétropédalage. Il me montre la direction d'un cybercafé. J'apprends par mail que le Pakistan connaît de graves inondations, la Karakorum Highway est coupée. Inquiet, sans savoir si je pourrai suivre l'intégralité de mon itinéraire, je poursuis en direction des Pamirs.
Avant d'atteindre la frontière chinoise, 3 cols restent à franchir. La route se transforme en piste caillouteuse dans la montée du Taldyk pass. Toutefois, les Chinois devraient finir entièrement la route Bishkek - Irkeshtam d'ici un ou deux ans.
Sur un plateau verdoyant, se dressent en face de moi majestueusement les cimes enneigées du Pamirs culminant à plus de 6000m. Cette chaîne mythique au nom si évocateur me procure d'intenses émotions. Je m'imagine au coeur des Routes de la Soie, face à cet obstacle auquel s'était jadis opposé Alexandre le Grand ou encore Marco Polo.

Chine (Kashgar)

A la croisée des chemins

Une ultime descente avant la frontière chinoise. Une file de camion attend patiemment. Les barrières sont fermées. Bien que située à 4000km à l'Est de Pékin, la frontière vit à l'heure de la capitale.
Mes bagages sont fouillés avec soin une, puis une seconde fois au scanner. Une nouvelle heure est nécessaire avant de pouvoir s'éloigner de la frontière, accroché à un camion.
Le temps tourne à l'orage. La violence de celui ci me pousse à accepter sans hésitation de monter dans un pick up jusqu'à Kashgar en compagnie de jeunes femmes ouïgours méconnaissables sous leur épaisse couche de maquillage, leur i phone dernier cri à la main.

Sur la route, les villages deviennent des villes de plus en plus grouillantes. A Kashgar, l'orage est fini. Il y fait très chaud. Je peux dès lors apprécier (ou déprécier) le choc avec le Kirghizistan, avec la route si sauvage et paisible des derniers jours. Kashgar, 400 000 habitants, est une ville populeuse où circulent un mélange de scooters, taxis, camions et mobylettes.

Ici, je suis loin d'être le seul cycliste. Certains partent comme moi, dans quelques jours pour le Pakistan. D'autres pour le Sichuan. D'autres vont ou viennent du Tadjikistan, du Kirghizistan. Kashgar est une ville carrefour. Et à défaut de ne plus être celui de la soie, il demeure celui des voyageurs.
Je dois prendre une décision. Tenter le coup au Pakistan malgré les inondations, ou bifurquer ailleurs, vers Pékin? Le déclicieux poulet à la sauce à l'anis porte conseil. Finalement, la solution qui m'intéresse le plus, celle que j'avais prévue depuis longtemps, et la moins onéreuse est la première.
De la ville Han et immeubles, larges avenues, trafic, je m'enfonce parmi bazars entre mobylettes et crieurs. Dans vieille ville (ou ce qu'il en reste) de petites ruelles se faufilent parmi des habitats anciens dans un silence apaisant. Un ou deux enfants et de temps en temps une femme ouïgour masquée d'un voile noir brodé de motifs colorés m'observent d'un air curieux. Aujourd'hui encore, l'un de mes principaux regrets est de n'être resté qu'une journée à Kashgar et ses contrastes saisissants.

En quittant la ville, je m'accroche à tout ce que je peux: camions, tracteurs. J'arrive ainsi facilement à l'altitude de 3500m, après plus de 190km effectués en quelques heures.
Les paysages sont exceptionnels: lacs, cimes enneigées. Face à moi, les neiges éternelles se déversent des 7500m du Muztagh Ata telles un coulis sur une glace au chocolat.
Karakorum Highway: ou la "kakahache" (Kkh). Il s'agit d'une ancienne route de la soie. Aujourd'hui, son intérêt est davantage stratégique. Pour moi, il s'agit tout simplement de l'une des plus belles routes jamais empruntées. Au loin, le Pakistan se dessine.

Pakistan (Karakorum-Lahore)

Welcome to Pakistan

Pour passer la frontière par le col du Khunjerab, les autorités sino-pakistanaises obligent les cyclistes à prendre le bus.
Je suis forcé à escamoter le col de 4693m dans un bus spartiate payé 50$ les 100km (prix officiels), en compagnie d'un couple de français, le chauffeur pakistanais, et un militaire chinois chargé de nous surveiller. Nous sommes donc cinq au total dans un bus chargé de vivres et de gaz pour le Pakistan (certaines régions sont en pénurie avec les pluies). S'apercevant de sa solitude (face à d'éventuelles représailles?), le jeune militaire appelle l'un de ses collègues pour le suppléer.
Une fois arrivés au Pakistan, nous pouvons effectuer la descente à vélo, avec la bienveillance du chauffeur.
Paysages magnifiques, ciel bleu sans nuage: on est loin de la situation décrite par les médias. J'arrive à Sost. Le bureau d'immigration est fermé. Le douanier fume du hashish. « Tu en veux ? Hashish taliban ! ». Cette nuit, je peux camper juste à côté, après la barrière.
« - Puis je faire mon visa?
- No problem my friend. Come with me. »

Le chef des douanes m'emmène dans son bureau dès l'ouverture. Il cherche son pot de colle pour mon visa, payé 38$. Entrer au Pakistan s'avère bien plus facile que prévu.
« Tu préfères celui à la vanille ou celui à la noix de coco ? » Les sujets de conversation entre voyageurs occidentaux sont parfois aiguisés. Ramadan ou pénurie due aux conséquences des inondations obligent, je dois me contenter de biscuits LU plusieurs jours durant.
La Karakorum Highway est un chantier permanent. Les chinois y construisent une nouvelle route, là où même plusieurs ponts se sont effondrés et où les rivières torrentielles se franchisent en tyrolienne.
En janvier 2010, un gigantesque éboulement a coupé une partie de la région, formant un barrage naturelle et un magnifique lac turquoise de 22km qu'il me faut traverser sur un vieux bateau à moteur en compagnie d'un groupe d'étudiants. Les véhicules ne pouvant emprunter la seule route reliant le Pakistan à la Chine, et toute l'économie locale s'en ressent.

La pluie commence à tomber. Les 7000m et les glaciers du Rakaposhi disparaissent sous les nuages.
Les populations m'accueillent toujours en souriant par un « Hello! How are you? », contrastant bien souvent avec les « One pen. » et les quelques jets de pierre des enfants.

Un anniversaire en feux d'artifices.

Je ne suis plus qu'à quelques encablures de Gilgit. Je passe une journée de repos dans cette ville assez grouillante, mais sans aucune femme! Alors que je cherche un endroit pour fêter mes 20 printemps, la ville s'empresse de fermer boutiques. Ce soir, nous assistons à de véritables affrontements. Les coups de feux retentissent durant toute la première partie de la nuit, symboles des violences entre chiites et sunnites. L'armée réplique à la mitrailleuse et nous nous mettons à l'abri au plus vite.

Les gamins du Babusar

Je me dirige vers la ville de Chilas, non sans remercier Dominique, un français qui m'a offert son pantalon très chaud, qui me servira beaucoup au Ladakh. La ville se situe dans une région nommée Kohistan avec la présence de quelques talibans. Tout le monde m'a donc déconseillé d'y rouler la nuit, si ce n'est d'y rouler tout court. Talibans ou bandits y ont la fâcheuse tendance à attaquer bus et camions.
Je serais davantage « victime » de l'hospitalité des populations locales qui, plusieurs fois, m'invitent à dormir et me traitent comme un invité d'honneur.
En zigzaguant entre les cailloux lancés par quelques enfants, je rejoins l'Indus, fleuve qui s'écoule ici encore tumultueusement au coeur de gorges magnifiques.
Après la pluie, la nuit commence à tomber. Je ne suis pas rassuré et décide de rouler sans phare dans un but de discrétion maximale. Je me fais prendre en stop. Cette nuit, je dormirai en toute sécurité.

Le Babusar Top, voilà un nom que je ne suis pas prêt d'oublier.
En une quarantaine de kilomètres, la route passe de 1100m à plus de 4160m.
Je suis malade. Je n'ai rien mangé ce matin, peu dormi, et les forces me manquent. Que de mieux que de s'accrocher aux tracteurs, ou camions montants ce col, qui me permettent d'éviter ces gamins étranges, criants, me courant après, ou me jetant rarement des pierre sans toutefois jamais m'atteindre. Les ponts de fortune se succèdent, et la route se transforme petit à petit en une piste parfois abominable, dans laquelle il est impossible de s'accrocher à un véhicule motorisé. Je suis épuisé, je pousse souvent ma monture. Pourtant, il me reste encore 20km de montée avec de forts pourcentages.
A 8km du sommet, j'aperçois trois gamins, âges de 10 ans environ, portants de lourdes charges sur eux: sac de riz, bois... Ils m'aperçoivent. Lâchant leur fardeau ils courent dans ma direction et me poussent. Nous poursuivons notre chemin ensemble, dans une galère commune qu'ils n'ont, eux, pas choisie.
Souvent, les automobilistes réprimandent ces enfants, persuadés qu'ils me posent problème. Nous nous arrêtons. Ils parviennent à monter dans un pick-up.
Encore 1 km. Et je les vois, ces enfants, qui me rejoignent en courant. Enthousiastes, ils me félicitent, me poussent à tour de rôle, m'apportent à boire le souffle court. Je suis enfin arrivé au sommet après plus de 9 heures de souffrance. Je les serre dans mes bras, heureux d'en avoir décousu avec ce maudit col. La rencontre est brève mais marquante.
Je suis si épuisé que je n'arrive même plus à franchir les gués. Je campe à proximité. J'entends des bruits de pas. On essaye de prendre mon vélo, qui, cette fois, est attaché à ma tente. Je suis si fatigué que je ne sors pas de mon sac de couchage. Mon couteau est à portée de main. Deux adolescents tentent de discuter pour me prendre mon appareil photo, de l'argent, avant de me montrer leur revolver. Je saisis mon couteau. Un camion passe. Je crie. Peu téméraires, ils partent. Je suis si fatigué que je me rendors au bout de 10 minutes.

Plaine du Pakistan: trafic, chaleur, camions, et Ramadan

Une longue descente en paliers rejoint progressivement la grande plaine du Pakistan. M'accrochant (ou montant) dans des camions, je rejoins rapidement Mansera et avec elle la chaleur moite et le trafic.

La ville et la circulation me lassent déjà et la 2x3 voies est l'occasion de m'accrocher aux camions durant de longues heures, parcourant ainsi plus de 150 à 170km par jour. Je suis déjà à Rawalpindi en direction de Lahore, sur une route nommée GT Road, grouillante et encombrée par un ballet incessant de camions richement décorés. Chaque soir, je trouve refuge dans une station-service surveillée et climatisée, ou encore parmi une population chaleureuse et bienveillante.
« Maintenant c'est trop tard, je t'ai vu. Tu ne peux pas refuser, tu es mon invité. » Gulham m'interpelle et veut m'inviter chez lui. Je monte avec lui et ses deux fils sur sa moto avant de visiter le fort de Rohtas. Construit au XVIe siècle par Sher Shah Sûri, il n'avait pas pu contenir l'avancée des moghols.

Peu à peu, je me laisse envoûter et happer par le Pakistan qui a tant à offrir: de la couleur parfois, des paysages, un patrimoine, une gastronomie, des populations si accueillantes.
Je suis à 20km de Lahore. Un motard livrant le lait dans une station service m'incite à le suivre dans son village sur sa moto. En m'écartant de la GT Road par de toutes petites routes, je découvre un Pendjab plus profond. Des enfants plongent dans l'eau d'un ruisseau douteux, les buffles se font nombreux, et la circulation motorisée inexistante.
Son village porte le nom d'UCC46. Les habitations sont construites uniquement de briques en terre cuite fabriquées dans les fours à proximité. Je dois être le premier touriste à venir depuis bien longtemps. De retour dans la station-service, je retrouve mon vélo. Rien n'a été touché, si ce ne sont les vitesses.

Lahore: 7 millions d'habitants, capitale culturelle du pays qui connu ses heures de gloire sous les Moghols au XVIe siècle, et une circulation infernale.Les klaxons retentissent. La mosquée de Badshahi, construite au XVIIe, m'offre un havre de paix, un émerveillement pour mes yeux et un moment de répit pour mes oreilles dans ce vacarme et cette chaleur moite. Quelques kilomètres supplémentaires permettent de rejoindre la frontière indienne.

Inde (Amritsar-Ladakh)

Inde-différence?

J'arrive rapidement au poste frontière de Wahga, célèbre pour la cérémonie s'y déroulant chaque fin d'après midi. En effet, militaires indiens et pakistanais, vêtus de leur plus beaux uniformes, se rencontrent solennellement et se remettent un drapeau, dans une tension parfois palpable. Les gradins dans le no man's land illustrent la popularité de cette cérémonie symbolique.
Le Temple d'Or se situe au coeur d'Amritsar. La spiritualité de ces lieux sacrés pour les Sikhs est envoûtante, les chants et prières hypnotisantes. Ce sont les derniers instants de repos avant d'entamer à nouveaux les cols himalayens qui se profilent déjà au loin.

A la voie dangereuse et encombrée reliant Pathankôt se succède une route plus paisible et vallonnée. J'avance au ralenti. Au bord de la petite route, un pick up est arrêté. Son chauffeur, un Sikh, Radiu, attend un appel. Il m'emmène jusqu'à Manali que je rejoins en quelques jours.

Trois sur la Manali/Leh

La Manali-Leh Highway: tout comme la Karakorum Highway, elle est légendaire pour tout voyageur cycliste. Construite par l'armée afin de faciliter les déplacements militaires dans cette région du Cachemire cristallisant les attentions indo-sino-pakistanaises, elle emprunte des col parfois à plus de 5000m. Le Rothang La est le premier d'une longue série. Il s'agit aussi du moins élevé avec ses 3900m d'altitude.
J'y rencontre deux cyclistes. Jeff est californien. Martin est danois. Tout deux se dirigent comme moi à Leh. Notre cohabitation, excellente, durera trois semaines.
A la vallée de Lahaur verdoyante se succèdent les pentes plus arides du Baralacha La.
En ce mois de septembre, la Manali-Leh Highway est avant tout une autoroute de cyclo-voyageurs. Nous croisons plusieurs cyclistes désireux de se mesurer à ces hautes altitudes. Tous ne suivent pas le même rythme et je poursuis ma route avec mes deux compères.
Les montagnes arides alternent avec des paysages multicolores sous un ciel d'un bleu opaque. Nous franchissons le Polo Kongka La avant de retrouver les gorges de l'Indus qui n'est ici encore qu'une petite rivière. Le vent, très fort, souffle désormais de face. Il le sera jusqu'à Leh.
« Plus tibétain que le Tibet ». Martin est un connaisseur. Depuis plus d'une dizaine d'années, il jalonne sans relâche les pistes les plus reculées du Tibet. Les villages sont aussi authentiques que paisibles. De part et d'autre, des monastères surmontent majestueusement une vallée qui s'élargit à quelques dizaines de kilomètres de Leh.

Depuis quelques jours, Leh nous apparaissait comme une sorte de paradis dans lequel nous pourrions enfin prendre une douche, manger des pankakes à la banane, des pizzas, mais aussi entretenir nos vélos et réparer les multiples crevaisons du matelas auto-gonflant de Martin.

Détente sur les hauteurs

Leh s'agite. Toute la ville semble se diriger vers un même lieu, à quelques kilomètres de là. Le Dalaï Lama vient d'arriver. Le temps d'un discours, les chiens envahissent une ville sans âme. Après deux jours passés à découvrir les différents restaurants de Leh, nous poursuivons notre périple ladakhi.

Le Khardung La se targue faussement d'être le col le plus haut du monde, à 5602m. L'altitude est certainement exagérée de 200 ou 300m. Cependant, ses 39km d'ascension nécessitent près d'une journée avant de basculer dans la vallée de la Nubra. Entre 2 cols à plus de 5000m, sommets enneigées et vallées encaissées, les villages traditionnels aux toits de chaume constituent de formidables haltes et incitent à la méditation. Au Wari La succède le Chang La, ultime col situé à plus de 5360m d'altitude.
A ces altitudes, les maux de tête se multiplient. Au bout de la vallée se dessine la silhouette effilée et les eaux opaque du lac Pangong Tso. Face à nous, le Tibet interdit. Plus au nord, vers les plateaux de l'Aksai Chin, une piste monte vers le Marsimik La, un col mystérieux qui se situerait à plus de 5580m. Mais nous n'avons pas d'autorisation pour nous approcher plus de la Chine.
A 4200m d'altitude, l'après-midi libre et alors que 2 militaires empruntent nos vélos afin de pouvoir téléphoner à leur famille au village suivant, nous jouons plusieurs parties de pétanque. Retour vers Tangste et son monastère qui domine les environs. Nous trouvons 2 jeep qui nous ramèneront à Leh par la route que nous avons emprunté il y a plusieurs jours.

Jeff et Martin partent en trek pour monter le Stok Kangri, à plus de 6120m d'altitude. Puis ils prendront le bus, avant de faire la vallée de la Spiti. Plus que le fait de voyager en leur compagnie, ils m'ont fait partager leurs expériences, leurs nombreuses anecdotes, et leurs connaissances de voyageurs cyclistes reconnus, le tout dans une ambiance bon enfant. C'est certainement l'une des plus belles rencontres de mon voyage.
Je ne regrette donc en aucun cas de ne pas avoir pu découvrir l'hospitalité ladakhi. L'accueil est toujours plus difficile à percevoir lorsque l'on est plusieurs. Mais les sourires, la joie de vivre exceptionnelle de ce peuple m'incitent à retourner un jour dans cette région. Avant mon départ, j'étais fasciné par l'Asie centrale. Je ne le suis plus. Désormais, mon regard se porte vers les régions de culture tibétaine. Peut être que l'influence de Jeff et de Martin, passionnés, n'y est pas étrangère.

Quatre jours pour découvrir l'Inde

L'avion me menant à Delhi offre un panorama exceptionnel sur la chaîne himalayenne. Au loin, le pic impressionnant du K2 et ses quelques 8600m d'altitude se dresse de toute sa splendeur.
J'arrive à Delhi. Il me reste quatre jours. Quatre jours pour me perdre au coeur de petites routes. Quatre jours pour découvrir une Inde plus profonde, moins touristique sans pour autant négliger quelques classiques. Quatre jours aussi pour éviter le trafic, sur des routes n'apparaissant pas sur ma carte. Rares sont les visiteurs s'aventurant dans cette région, pourtant au coeur du triangle Delhi-Jaipur-Agra qui concentre une partie des sites touristiques du pays. Je suis dans une Inde plus pauvre, rurale, où se mêlent les couleurs, notamment celles des vêtements des femmes travaillant dans les champs et portant sur leur têtes des récipients volumineux.
L'Inde dans toute sa diversité. Je suis dans une région à forte minorité musulmane. Que les gens soient hindoues, sikhs, ou musulmans, tous m'accueillent chaleureusement. Les gens ont peu, mais m'invitent souvent à boire un thé dans un verre en argile, ou un soda. Souvent aussi, les motocyclettes s'arrêtent à ma rencontre pour me poser toujours les mêmes questions. « D'où viens tu ? Où vas-tu ? »

A Deeg, la route devient plus importante, le trafic plus oppressant. Je passe des villes plus populeuses. L'axe Jaipur-Agra passe par Fatehpur Sikri, l'ancienne capitale de l'Empire moghol que je visite rapidement, résistant à l'appel de nombreux guides.
Construite dans la seconde moitié du XVIe siècle, elle naît d'une légende. Akbar n'avait pas de fils. Au village de Sikri, il rendait visite à un ermite soufi afin de parer à cela. Il eut 3 fils, et décida de construire sa nouvelle capitale.
L'histoire est belle, mais ne dura pas longtemps. Les années de sécheresse ont rapidement eu raison des faibles nappes phréatiques. Moins de 15 ans après sa construction, elle fut abandonnée.
Construite à grand frais de grès rouge, son architecture emprunte aux styles de l'Inde, du monde musulman, et même de l'Occident, illustrant ainsi les volontés de syncrétisme de l'empereur Akbar.

Le trafic redouble. J'atteins Agra, zigzaguant entre les dizaines de milliers d'automobilistes, cyclistes, rickshaw, piétons, non sans en bousculer quelques uns.
Agra: capitale du sultanat de Delhi, prise par les moghols, elle retrouve son statut de capitale sous Akbar (dont l'avis changeait décidément bien souvent). La ville connu son apogée au XVIIe siècle.
Parmi les nombreux monuments, on trouve notamment le Fort rouge d'Agra, consolidé par Akbar au XVIe siècle. Surtout, le nom de cette ville reste trop souvent associée au Tadj Mahal, qui est à l'Inde ce que la Grande Muraille est à la Chine, ce que la Tout Eiffel est à la France, ce que le Kremlin est à la Russie, ce que la Mosquée Bleue est à la Turquie...C'est à dire quelque chose d'emblématique et d'ultra-touristique cachant les autres curiosités du pays... Quelques mots sur le Tadj Mahal. Mumtaz Mahal, l'épouse de Chah Jahan au XVIIe siècle, est tendrement aimée. Lorsque elle meurt en couches, le Chah éprouve une telle douleur qu'il décide de lui bâtir le plus beau des mausolées. Les travaux durent 20 ans. Le Chah est au bord le la ruine, mais son rêve est accompli: son amour pour Mumtaz Mahal se prolonge au delà de la mort.
Je quitte Agra et ses merveilles pour rentrer à Delhi sur une route au trafic incessant. Ce seront là mes dernières heures en Inde.
Après un long vol et une longue escale à Moscou, je suis enfin arrivé à Milan. Rien ne manque, mes parents m'attendent. Dans 2 jours, je serai à l'université.

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