Coração da África - Angola & Namibie (2023) - Les voyages du P'tit Malet
Coração da África
Angola & Namibie - 2023
Afrique
Coração da África
Janvier 2023

Introduction

En ce début d’année, la saison des pluies habille l’une des plus belles cascade d’Afrique d’une épaisse robe d’eau, qui se jette toute entière sur une savane verdoyante et sauvage, ponctuellement entrecoupée de collines de pierre noire.
A près de 3000 kilomètres de là, les gigantesques dunes ocre du désert du Namib dansent au gré des vents depuis l’océan Atlantique jusqu’à ces oasis étincelantes clairsemées par les silhouettes calcinées d’arbres millénaires. La fin et le second point d’orgue de ce voyage.
Difficile de trouver un trait d’union à pareil contraste. Et pourtant… Entre ces lieux, un pays méconnu qui n’avait encore jamais connu la paix de son existence jusqu’à l’aube du IIIe millénaire. Alors, à défaut d’être réellement situé au centre de l’Afrique, l’Angola a été la raison, le lien, et le coeur de mon voyage. Peu d'informations s’échappent de ce pays si peu visité. L’Angola est un secret bien gardé, si bien que je ne savais pas réellement à quoi m’attendre. Si mon itinéraire était à peu près tracé, je me suis surtout laissé porter par le hasard des pistes, des paysages, et des rencontres. Et, autant l’annoncer tout de suite: quelle belle surprise ce fut !

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Distance
3 550 km
Durée
34 jours
Point culminant
1 950 m
% de pistes
35 %
La carte du voyage
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Angola

Le paradoxe luandais

Il est toujours déroutant de constater que dans certaines des plus grandes mégalopoles africaines survit encore un minuscule aéroport, directement lotti à quelques pas du centre-ville. Dans l’attente de la finalisation d’un nouvel aérogare construit par la Chine, celui de Luanda ne fait pas exception. Et, s’il n’y avait pas eu cette transition d’une nuit de vol, on passerait presque immédiatement des villes froides et grises de l’hiver européen à cet immense amas de bidonvilles africain inondé dans une moiteur permanente. Au-delà des maisons délabrées de briques poussiéreuses ou de taule boueuse s’élèvent aussitôt les rangées d’immeubles clinquants et modernes qui viennent lécher le bord de mer.
L’Angola dépend de son littoral. Ici, l’Atlantique est avant tout un océan d’hydrocarbures. Ils expliquent presque à eux seuls la croissance de la capitale depuis la fin de la guerre civile.
Car, après quatre siècles de colonisation portugaise, après 14 années de guerre pour l’indépendance auxquelles ont succédé sans répit trois décennies de guerre civile, l’Angola est, depuis l'entame du XXIe siècle, enfin en paix. Vingt années de stabilité qui ont soulevé beaucoup d’espoirs dans ce pays, devenu sixième puissance économique du continent et désormais en tête de pont de l’Afrique centrale. Depuis vingt ans, Luanda et ses quelque 9 millions d’habitants est un chantier constant.

Circuler à vélo dans des villes aussi tentaculaires se révèle toujours un moment aussi pénible que chaotique. Dès les premiers jours, je suis brutalement immergé dans le bain de cette Afrique surpeuplée. La route vallonnée traverse la ville à bonne distance des côtes, mais pas du trafic. Une trentaine de kilomètres suffisent pour s’extirper de la capitale qui n’est plus qu’un agrégat de cases blafardes. Trente kilomètres supplémentaires et l’on atteint la ville de Caxito. Dès lors, le reste de l’Angola n’est plus que le contre-pied de Luanda.

Força Amigo !

De vieilles carcasses de tanks, ultimes vestiges des guerres civiles du siècle dernier, surveillent l’entrée d’une poignée de camps de travailleurs chinois. Puis le trafic devient subitement pratiquement inexistant. La route est silencieuse, seulement parsemée de quelques petits villages paisibles. De beaux baobabs cèdent peu à peu la place à des champs de manioc, à ces enfilades de bananeraies qui introduisent une végétation plus dense.
Les montées se succèdent durant plusieurs jours: des pentes raides, supérieures à 10% qui se faufilent dans la jungle. Puis vient la piste, caillouteuse, ou parfois simplement faite d’une étroite bande de terre et de sable, empruntée par de rares petites motos chinoises. Sur certaines parties, la piste paraît même abandonnée, s’élevant par des rampes sévères sur chaque “loma”, ces collines verdoyantes et dénudées. Elle plonge ensuite dans une jungle de taons, en rasant les herbes hautes et en traversant les gués et rivières qui se renflouent au fil des pluies qui s’intensifient en ce mois de janvier. Cette première semaine est intense. D’autant plus que les lieux où manger n’abondent guère. La plupart du temps, je trouve mon bonheur dans les biscuits vendus dans les cantinas, ces échoppes égrénées dans les villages de huttes de brique et de pisé. La plupart d’entre eux n’ont ni accès à l’eau potable, pas plus qu’ils ne sont reliés au réseau électrique. Des générateurs offrent une connexion aléatoire, néanmoins souvent suffisante pour apprécier à bonne température la Cuca, la marque de bière locale: en Angola, on trouve toujours de quoi s’hydrater. On trouve aussi toujours un endroit pour dormir et s’abriter des trombes d’eau qui se déversent sur les collines à la fin de l'après-midi. Un bar, un poste de police, une case de fortune: partout, je suis toujours reçu avec beaucoup de bienveillance. On me présente longuement au chef du village. On me demande régulièrement mon passeport, qu’on examine avec zèle. On me propose même de partager le dîner, souvent frugal: des feuilles de manioc, voire de la viande de chèvre, servies avec l’incontournable funge. Quant à la police, elle a pour « mission » d’accueillir les uniques touristes de passage: les responsables claironnent solennellement ma présence à tous les effectifs. Je me sens en sécurité, touché par ces gestes d’accueil simples, enthousiastes, et surtout très spontanés.

« Amigo ! Amigo ! » A chaque village, les enfants me saluent. Personne ne m’appelle « Le Blanc », « Mundele », « Muzungu » ou autre dérivé racial comme dans bien trop de pays d’Afrique. Être un amigo (ami) me convient très bien. Et dans cet Angola rurale et peu peuplé, il suffit de relever les yeux et de prendre le temps de saluer les habitants. Un simple « bom diiiia » ou « boa taaaarde » provoque un déluge de pouces levés, une avalanche de larges sourires, sincères et confortants. On me répond en écho, par des « Bom dia si ! » ou des « Obrigaaaaado » (Merci). Tout au long de ma route, j’entends des « Força amigo ! » en guise d’encouragement.
La douceur de l’accent africain sublime la langue portugaise, déjà si élégante. Mon « portugnol », fusion entre l’espagnol et le portugais, fonctionne dans la plupart des situations. Les contacts deviennent si aisés. Je me sens bien dans ce pays. Et tout le reste n’a plus aucune importance.

Volutes de Kalandula

Au-delà de l’entrelacs de collines, un plateau effleure les 1000 m d’altitude et renoue avec l’asphalte. Au loin se dessine un imposant voile d’eau vertical qui nourrit la plaine du Lucala. Les chutes de Kalandula disparaissent derrière les reliefs avant de se dessiner entièrement, démesurées, au terme d’un dernier virage. L’impressionnante muraille d’eau occupe alors le paysage et découpe rageusement la fine forêt de jade pour s’élancer de tout son long dans le vacarme de 100 mètres d’abîme. Il y a quelque chose de magnétique à observer le fracas de l’eau qui, au cours de sa chute, semble tomber par vagues délicates avant de s’achever dans un volute de fumée au-dessus du ravin.
En une semaine, ce long détour par des pistes oubliées m’a conduit vers l’une des cascades les plus impressionnantes de toute l’Afrique.
Le plus beau des belvédères se situe depuis la petite (et seule) pousada qui propose des chambres à 300 USD. Verre de vin à la main, les rares riches Luandais ou expatriés goûtent ici au privilège d’une nuit en tête à tête avec les chutes. Après une semaine à prendre le pouls des villages aussi isolés que démunis, ce contraste me dérange. Je me contente d’une après-midi contemplative, et choisis de poursuivre ma route dans les immenses étendues de brousse.

Le relief monotone est interrompu par un chapelet de falaises arrondies qui se dressent brutalement au-dessus de la savane. Je m’approche des Pedras Negras de Pungo Andongo, des monolithes colossaux qui s'enchevêtrent pour former un labyrinthe de rochers. Elles formaient le refuge idéal pour l’ancienne capitale du royaume de Ndongo, qui fut jusqu’au XVIIe siècle l’un des derniers bastions de résistance à la colonisation portugaise. Les légendes locales racontent d’ailleurs que les empreintes de pas de la reine Njinga - l’une des plus célèbres de l’histoire du continent - se trouveraient toujours gravées parmi les roches.
Je ne pourrai pas le vérifier: j’évite soigneusement la piste en aller-retour qui mène au cœur du parc national. Par ces temps pluvieux, je lui préfère l’excellent asphalte qui relie les différents barrages du Kwanza, le fleuve principal du pays. On n’y croise pas un seul véhicule. Ce soir, je ne prends même pas la peine de marcher dans la brousse humide envahie de moustiques: je camperai à deux mètres de la route.

L’altitude baisse et les températures augmentent. Un policier m’indique la direction de Calulo: une étroite piste sablonneuse qui enjambe le rio Kwanza avant de monter abruptement le long d’un cortège de petits villages et de champs de maïs qui, désormais, remplacent le manioc.
La ville de Calulo épouse les reliefs tropicaux jusqu’à son ancien fort qui rappelle l’ancienne présence portugaise. Le trafic y est insignifiant. Et si la piste a beau s’être élargie, elle n’en reste pas moins boueuse.
Les averses me dissuadent de poursuivre sur davantage de chemins de terre: à regrets, j’opte pour l’un des axes principaux du pays, me menant vers la ville de Huambo.

Un continent sur la tête

Une ligne électrique escorte la route et enjambe ponctuellement de petites villes dans lesquelles les restaurants servent feijao ou churrascos. La savane d’altitude est quant à elle tapissée de quelques montagnes de pierre qui apportent leur nuance de noir à des paysages infiniment verdoyants. Chaque jour, le décor s’éclaire passagèrement entre deux nuages. Fazendas et culture du maïs émaillent et complètent le tableau de ce plateau fertile.

En Angola comme partout en Afrique, on vit au bord de la route. Sur les pistes, on faisait sécher les racines de manioc. Ici, des marchés improvisés s’étalent à quelques pas du bitume : on y vend du manioc certes, mais aussi des champignons, des tomates, des avocats, des ananas, des bananes ou encore des mangues pour une poignée de centimes.
Les transports en commun étant rares, on marche le long de la chaussée, qu’elle soit asphaltée ou non. Les enfants et adolescents arborent une légère veste blanche de coton et marchent parfois pendant plusieurs kilomètres pour rejoindre leur école ou leur collège. Les adultes marchent pour rejoindre leur champ. On marche le matin et en fin d’après-midi surtout. Les femmes sont nombreuses. Vêtues de leur pagne bigarré, elles semblent porter tout le continent sur leur tête. Elles marchent en transportant du bois. Elles marchent pour ramener de l’eau. Sans elles, les Africains se laisseraient mourir de soif. Elles marchent pour transporter le manioc qu’elles transforment en farine: sans elles, les Africains se laisseraient mourir de faim.
De temps à autre, elles marchent aussi en groupe, répondant à l’unisson et avec vigueur à mes salutations. Des sourires, des regards amusés, des clameurs. L’une s’écrie : « Wahouu. Ese tan hermoso ! (Celui là qu’il est beau !) ». En se retournant pour les saluer (remercier) à nouveau, on reçoit une nouvelle salve de cris de ferveur lancés en choeur. Je me sens alors comme un gladiateur dans l’arène. Mon auto-estime est monté au ciel.

Des averses à intervalle régulier ont remplacé l’orage du soir. Il pleut quatre à cinq fois par jour. Et lorsque l’on atteint les quelque 1800 m d’altitude, peu après la ville de Huambo, les températures chutent autour d’une vingtaine de degrés. Sur ce plateau aux allures de causse paissent les bovins et s’étendent même quelques forêts de conifères.
Une dernière piste de boue. Comme souvent en Angola, je suis guidé par les traces des pneus des motos qui dévient de l’itinéraire principal, mais qui m’indiquent les passages les plus praticables.
En rejoignant Lubango, les paysages deviennent plus arides. On retrouve des épineux, et même quelques baobabs à nouveau. Un bitume impeccable descend très progressivement le long des lignes droites qui transpercent le bush.

« A los heroicos de Cahama ». A l’approche de la frontière namibienne, des monuments aux morts et des fresques murales honorent Cuba. On perpétue le souvenir des soldats venus combattre aux côtés des forces gouvernementales (MPLA) contre l’armée sud-africaine. Durant la guerre civile angolaise, Cuba a perdu près de 10 000 hommes, mais a apporté au pays des médecins, des enseignants, des ingénieurs. Les deux pays demeurent intimement liés: des vols directs lient Luanda à la Havane, chaque année des milliers d’étudiants angolais y obtiennent leur diplôme, et nombreux sont les Cubains à se rendre aujourd’hui encore en Angola, s’ils ne s’y sont pas encore définitivement installés.

Le lieu auquel je m’attendais le moins

Otchinjau est un petit village en terre tribale, un dernier détour avant d’atteindre la frontière. « Il n’y a pas école aujourd’hui ». Les orages de la veille ne permettent pas de faire classe dans l’école à toit ouvert. Joana et Rolanje, un couple d’instituteurs m’indiquent qu’il y a plus de 100 kilomètres jusqu’à Chitado, le village suivant. Je m’approvisionne comme on se prépare à la guerre: six litres d’eau, une douzaine de petits pains (le pao est en Angola un bonheur quotidien), et des provisions pour tenir pendant deux jours. D’autant plus que le chemin promet d’être difficile après les pluies.
Je m’engouffre sur une piste tamisée, maculée ponctuellement par de grandes flaques de boues qui se laissent contourner. Au cours d’un passage caillouteux, on descend dans la vallée de Ruacana, dans un bush désertique et sans fin, dont le relief contraste avec les jours précédents. La chaleur supplante l’humidité. Je pousse mon vélo dans des ornières de sable. Ce même sable meuble qui se mêle à la boue à l’approche des lits de rivières sporadiques creusées par les pluies. Un camion s’y est d’ailleurs embourbé.
Dans ces paysages austères, on aperçoit quelques cases où vivent les bergers. Ici, le bétail est sacré. Des Himbas, mais aussi des Hakaonas, des Dimbas, des Vantuas ou des Humbis peuplent ces terres. Des tribus à l'identité et aux apparats très marqués que je ne saurais pourtant différencier.

Un drapeau angolais flotte à l’horizon. Des maisons de brique et de béton m’indiquent un village invisible sur les cartes, alors même que la piste ne m’avait jamais paru aussi difficile.
Les notes vibrantes d’une musique latino-africaine s’échappent de l’une des maisons. « Venha, venha ! ». On me fait signe de m’arrêter. Un simple bar, comme on en trouve des milliers dans les villages d’Afrique. Mais celui-ci se situe vraiment dans un lieu loin de tout. Un lieu improbable auquel je m’attendais le moins. Et ce bar banal se révèle l’une des plus belles surprises de mon voyage.
A l’intérieur se retrouvent villageois et ethnies que je ne saurais nommer. Il y a des hommes en T-shirt. D’autres portent des godillots noirs que surmonte une étonnante sorte de kilt vert foncé. Sur leur tête ceinte par les colliers de perle, un bonnet de tissu aux rayures blanches et noires. Quant aux femmes, je les vois seins nus et parées de leurs plus beaux colliers de couleurs, affairées à des conversations amusées. La serveuse, délicieuse et élancée, arbore un tailleur serré, pétillant de couleurs chatoyantes aux motifs africains. Et, au milieu de nulle part, des bières, presque fraîches, une musique qui invite aux pas de danse. Suis-je en train de rêver? Le soleil tape-t-il si fort dans ces contrées? Je reste une longue heure à me rafraîchir, à converser, avant de reprendre dans l’enfer de la piste, sa fournaise de cailloux, de sable et de bush jusqu’à Chitado.

Chitado porte encore les stigmates de la guerre: le village mi-détruit, mi-reconstruit se tient à quelques pas de la Namibie. Pourtant, pour rallier la frontière, la piste longe la rivière Ruacana 50 kilomètres plus à l’Est.

« J’aimerais bien visiter la France ou l’Italie. Mais je crois que je préfèrerais Cuba. Aller à La Havane serait un rêve ». S’il n’avait pas une partie de son incisive manquante, l’officier d’immigration ferait le parfait sosie de Damon Wayans (Michael Kyle dans Ma Famille d’abord). Je lui montre mon maillot aux couleurs de Cuba, emporté spécialement pour l’occasion. « Tu me le donnes? » Dans une conversation tout en sourires, je demande ce qu’il va bien pouvoir m’offrir en échange « Amizade, amor de Jesus Cristo… » Je n’ai pas vraiment envie de partir de ce pays. D’autant plus que je suis bien seul dans ce petit poste frontalier. Alors je savoure et fais durer ces conversations jusqu’aux derniers instants. « Si tu as un T-shirt du MLPA, je te l’échange! ». Après tout, je n’avais trouvé aucun souvenir d’Angola et la première chose qui me venait à l’esprit était un simple vêtement ou une de ces casquettes qui sont généralement distribuées par le gouvernement. Les yeux de l’officier s’éclairent. Il s’absente et revient quelques minutes plus tard avec un maillot aux couleurs du Primeiro de Agosto, le club national (et évidemment rattaché aux forces armées et au MPLA). Voici ma dernière surprise d’Angola. Et je traverse la frontière non sans m'exclamer pour la dernière fois en portugais « Esta Boooooom ! ».

Namibie

L’horizon long

L’asphalte se hisse sur un nouveau plateau aux interminables lignes droites qui s’étirent sur des centaines de kilomètres. Les paysages horizontaux se fondent en un mirage. Les poteaux des lignes électriques se dupliquent à l’infini. Entre deux morceaux rectilignes, des villages aux allures de Las Vegas miniature: confettis de ruelles perpendiculaires, agrégats de centres commerciaux. Et des feux de signalisation. Je n’en n’avais pas vu un seul depuis mon départ: ici, il y en a presque entre chaque maison.

Welcome to the Himba touristic village. Le nord de la Namibie s’appuie sur ses tribus Himbas. Le tourisme contraste abyssalement avec l’Angola où les rencontres étaient si naturelles. Ici, il s’apparente à un safari humain, une expérience zoologique. Tout le monde, conscient ou non, veut sa photo du Himba aux seins nus et aux tresses ocre d’otjize. Même les curieux qui prétextent échanger avec les tribus dans le but de prendre une photo sans avoir donné le moindre centime. On a au final ce qu’on cherche: un portrait. Les populations finissent toujours par le savoir. Et l’on transforme la relation en un troc argent contre photo qui déshumanise ces populations d’Afrique qui n’en ont pas davantage besoin.

A partir de Kamanjab, une longue piste contourne le massif de Brandberg et rallie l’océan. Une piste que tassent des machines solitaires. Une piste de tôle ondulée parfois qui descend très progressivement face au vent. Quelques 4x4 fendent l’espace à près de 100 km/h, laissant s’échapper leur ample panache de poussière.
Les paysages sont langoureusement monotones. L’euphorie de ma traversée angolaise est retombée. Alors certes, quelle que soit leur couleur de peau, les Namibiens se montrent souriants. Les conversations sont toujours détendues. Mais je m’ennuie: je ne retrouve plus ces saluts énergiques au bord de la chaussée, ce sentiment de pénétrer dans le cœur chaleureux de l’Afrique, de vivre au quotidien l’imprévisiblement spontané.

La côte Atlantique - que je longe pour la seconde fois du voyage - n'offre que peu de changement jusqu'à la surprenante ville de Swakopmund. Un bout d’Allemagne blotti entre les dunes du désert et le littoral. Une sorte de Deauville namibien, aux ruelles proprettes et quadrillées, à l’architecture Belle Epoque, flanqué de bâtiments hohenzollern colorés encadrant une petite église luthérienne. On y parle l’allemand jusque sur les panneaux des maisons. L’occasion pour moi d’une choucroute revigorante que j’attendais depuis plusieurs semaines déjà. De quoi ré-impulser ma traversée?

Les vagues frappent les dunes du désert côtier. Dans l’enfilade périlleuse de 4x4 qui me frôlent dangereusement, la tempête de sable allonge la trentaine de kilomètres qui me relie à Walvis Bay. Près de quatre heures sont nécessaires pour atteindre cette ultime ville portuaire, pionnière dans l’extraction diamantifère en haute mer. Puis vient enfin la longue piste vers le désert.

Au bout du Namib

Il y a 230 kilomètres pour rejoindre Solitaire, station-service reconvertie en épicerie-cafétéria pour les touristes qui se rendent vers le désert du Namib. Entre les deux, un infini minéral, un immense bout de rien. Ce sont tout d’abord ces mêmes longues lignes droites où le regard se perd. Un asphalte enrobé qui cède la place à une piste de plus en plus cahotante et ondulée. Une piste qui s’élève lentement dans ce qui devient une sorte de savane herbeuse et mordorée, ponctuée de reliefs plus acérés. Ce sont alors ces troupeaux de springboks, qui, par sauts graciles, traversent la piste à l'heure où plus aucun 4x4 de touristes ne passe. Ces quelques nuages qui rosissent à l’heure ou le jour s’affaisse. Ce ciel pur, dévoilant des nuances infinies de jaune, d'orange puis de mauve au coucher du soleil pendant que de l'autre côté, les éclairs strient les hautes terres namibiennes. Et enfin cette Voie Lactée que je peux admirer depuis la fenêtre de ma tente. Ce soir, la première ferme, le premier être humain est à plus de 60 kilomètres.

Au terme du premier jour, j’ai déjà bu près de huit litres sur les 10 litres d’eau achetés à Walvis Bay. La chaleur épuise mes réserves qui ne sont plus que bonnes pour le thé. Un 4x4 de touristes anglais m’offre un ravitaillement improvisé. Et j'atteins finalement Solitaire éreinté et ruisselant de sueur. Des bus d’Allemands ou de Japonais surpris par la présence d’un cycliste par ces températures si extrêmes font une pause pour goûter le fameux apfelstrudel recommandé sur tous les guides.
Désormais, je croise et re-croiserai les mêmes visages durant plusieurs journées: l’approche du désert du Namib attire les regards et les itinéraires.

Le désert le plus ancien du monde, vieux de quelque 55 millions d'années, exhibe ses dunes aux courbes parfaites dans une extraordinaire palette de couleurs flamboyantes. Des dunes pures en cascade bordées d’acacias et qui contrastent avec le bleu intense du ciel.
Une route asphaltée fend une vallée chenue caressée par ce désert de dunes ocre jusqu’à Sossusvlei. Un parc national à l’accès limité, dans lequel il est interdit de passer la nuit. Je me sens chanceux de pouvoir y accéder à vélo.
Une navette esquive les ultimes hectomètres sablonneux. Il est près de 10 h du matin et je croise une foule de visiteurs, déjà sur le chemin du retour. A contre courant, je marche dans le sable brûlant jusqu’au célèbre Big Daddy, une dune de plusieurs centaines de mètres de haut qui surmonte et enserre un ancien lac salé asséché, piqué ça et là de troncs d’acacias millénaires pétrifiés et calcinés. En face, deux oryx observent la scène colorée d’une myriade de cirques dunaires entrelacés.
En milieu de journée, les températures dépassent allègrement les 38°C. Mais à ces heures, il n’y a plus personne. Je me suis habitué aux fortes chaleurs. Et le vent sec m'empêche de transpirer.
Je retourne sur mes pas, par la même route saccadée par les rafales de vent chaud. Je finis par m’éloigner des chemins touristiques pour rejoindre le massif du Naukluft. Dans une belle vallée sauvage s’éparpillent quelques lodges vidés de visiteurs qui désertent la Namibie à la fin du mois de janvier.
En s'approchant de Windhoek, des villages métisses, puis de l'asphalte et avec lui le trafic: un flot de camions et de 4x4, sans une once de bas-côté. Les montagnes redeviennent verdoyantes et les orages frappent à nouveau chaque soir. Windhoek est une douce exception. Elle ressemble davantage à une ville provinciale, propre et loin de l’image des grandes mégalopoles africaines. Le terme de mon voyage et l’opposé de la ville par laquelle je l’ai débuté.

Estamos juntos

Finalement, presque tout paraît opposer l’Angola de la Namibie. A ce dernier l’immense privilège du désert, infiniment horizontal, démesurément multicolore parfois. Quant au premier… Je reste bercé par l’énergie positive, instinctive, et spontanée des Angolais. Son peuple, d’un accueil rafraîchissant au son des « Força amigo » lancés sur le bord des routes, représente bien ce que les Africains ont de meilleur. L’âme du continent. Et le cœur, certainement.
Les paysages, les montées, les pistes, les averses: même les difficultés ont été absorbées par ce bonheur quotidien. Un bonheur enchanteur mêlé à la primeur du rare visiteur. On y savoure chaque instant du voyage, de la première à la dernière heure.

Estamos juntos ! (Nous sommes ensemble !) : cette phrase étrange, lancée les mains liées, je l'ai entendue quelquefois en guise d’au revoir. Mais elle résume si bien l'Angola. J'y vois une expression humaniste, positive, un message d’unité dans un pays en paix, mais qui a trop longtemps connu la guerre. Un message de courage et d’espoir pour un avenir meilleur que le présent. Les Angolais sont ensemble, et ils le sont avec tous les visiteurs qui ont la curiosité de les voir.

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